Feuille de route pour la décarbonation progressive du transport maritime canadien
15 décembre 2025 20:35 | Ayat-Allah BOURAMDANE
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Feuille de route pour la décarbonation progressive du transport maritime canadien

La COP30, qui se tient à Belém (Brésil) du 6 au 21 novembre 2025, constitue un moment charnière de l’agenda climatique mondial, plaçant l’océan et la transition énergétique au cœur des négociations [1]. Dans ce contexte, le secteur du transport maritime — responsable d’environ 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre — est particulièrement pointé du doigt [2]. Un événement parallèle de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) à la COP30 met d’ailleurs l’accent sur la nécessité d’accélérer la transition énergétique dans le transport maritime, avec des propositions de régulation ambitieuses et des mécanismes pour soutenir les pays en développement [3].

Une étude récente [4, 5] — publiée dans la revue Canadian Public Policy (CPP) (University of Toronto Press), numéro spécial « Finance durable et changement climatique », parrainé par le Global Risk Institute — s’inscrit pleinement dans cette dynamique. En analysant la trajectoire optimale et progressive de décarbonation du transport maritime canadien à court, moyen et long terme, elle répond aux enjeux majeurs soulevés à Belém. En mobilisant la méthode d’aide à la décision multicritère (Multi-Criteria Decision-Making, MCDM — permettant d’évaluer plusieurs options selon différents critères), et en particulier le Processus Analytique Hiérarchique (Analytic Hierarchy Process, AHP), nous évaluons différentes stratégies — de l’électrification via des navires à batteries rechargeables (battery-powered ships) aux carburants verts — selon des critères environnementaux, économiques, technologiques, sociaux et infrastructurels. Ce travail vise non seulement à éclairer la feuille de route canadienne vers des navires à faibles émissions, mais aussi à contribuer aux débats de gouvernance internationale en cours, en phase avec les discussions de la COP30 sur les politiques, les financements et les cadres réglementaires nécessaires pour une transition maritime juste et durable.

La recherche répond à trois questions fondamentales :

  1. Quels sont les critères les plus importants pour évaluer les stratégies de décarbonation maritime au Canada ?
  2. Comment ces stratégies se comparent-elles entre elles ?
  3. Quel est le calendrier optimal pour bâtir un avenir maritime à faibles émissions ?

L’impact environnemental (c’est-à-dire l’ampleur des émissions de gaz à effet de serre, de la pollution atmosphérique et des effets sur les écosystèmes) apparaît comme le critère le plus déterminant, suivi de la viabilité économique (capacité d’une solution à être rentable et compétitive à court et long terme) et de la faisabilité technologique (maturité, disponibilité et performance des technologies nécessaires à sa mise en œuvre).

L’évolutivité (scalability — capacité d’une solution à être déployée à grande échelle sans perte d’efficacité) et la flexibilité (capacité d’une solution à s’adapter à différents types de navires, routes maritimes, infrastructures ou conditions opérationnelles), ainsi que la sécurité énergétique (capacité à garantir un approvisionnement stable, fiable et non vulnérable aux ruptures ou aux fluctuations géopolitiques) et les questions liées à la chaîne d’approvisionnement (supply chain — ensemble des activités qui assurent la production, le transport et la distribution d’un produit, ici des carburants), sont essentielles à la résilience de long terme.

L’analyse du cycle de vie (Life-Cycle Analysis, LCA — évaluation complète des impacts environnementaux d’une solution, depuis la production des matières premières jusqu’à son utilisation et son élimination), les exigences en matière d’infrastructures (besoins en installations physiques comme les ports, réseaux de recharge, capacités de stockage ou équipements de soutage), la faisabilité sociale et politique (niveau d’acceptation par la société, les communautés locales et les décideurs publics), la gestion des risques et de la sécurité (identification et contrôle des dangers liés aux opérations, aux carburants et aux technologies), ainsi que le calendrier de mise en œuvre (délais, étapes et rythme réaliste d’adoption) complètent un cadre d’évaluation robuste adapté au contexte canadien.

Parmi les options évaluées, l’amélioration de l’efficacité énergétique (Energy Efficiency Improvements — optimisation des opérations, technologies réduisant la consommation de carburant) est la stratégie la plus performante. Le gaz naturel liquéfié (GNL / Liquefied Natural Gas, LNG — du gaz refroidi et liquéfié pour être utilisé comme carburant marin) arrive en deuxième position, bénéficiant d’une infrastructure existante mais limité par les risques de fuites de méthane. Les biocarburants (biofuels — carburants produits à partir de matière organique telle que des déchets agricoles, huiles végétales ou résidus forestiers) et l’électrification via batteries montrent un potentiel modéré, mais sont freinés par des limites de durabilité ou de performance technique. L’hydrogène vert (green hydrogen — hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable), l’ammoniac vert (green ammonia — ammoniaque synthétisé avec de l’hydrogène vert) et les carburants de synthèse (synthetic fuels — carburants fabriqués artificiellement à partir de CO₂ et d’hydrogène, souvent appelés e-fuels) obtiennent aujourd’hui des scores plus faibles, principalement en raison d’infrastructures encore limitées et d’un déploiement difficile à grande échelle. Les carburants océaniques (ocean-based fuels — carburants potentiels dérivés de ressources marines, comme certains biocarburants algaux ou carburants produits à partir de matières océaniques — technologies encore immatures) obtiennent les scores les plus faibles, faute de maturité technologique et d’une disponibilité de ressources encore incertaine.

Sur la base de ces résultats, l’étude propose une feuille de route progressive :

  • Court terme (2025–2035): Priorité à l’efficacité énergétique, au GNL et aux biocarburants.
  • Moyen terme (2035–2050): Accélération du déploiement de l’hydrogène vert, de l’ammoniac vert et des carburants de synthèse à mesure que les infrastructures se développent.
  • Long terme (2050 et au-delà): Transition vers une électrification complète et vers des carburants océaniques, appuyée par des politiques publiques stables et des investissements coordonnés dans les chaînes d’approvisionnement.

Enseignements clés pour les dirigeants des services financiers canadiens :

  • Dirigeants (banques, assureurs, gestionnaires d’actifs — c’est-à-dire les personnes responsables de la prise de décision stratégique et financière au sein des institutions financières, telles que les établissements bancaires, les compagnies d’assurance et les sociétés de gestion de fonds d’investissement): Prioriser les financements à court terme pour les modernisations axées sur l’efficacité (efficiency retrofits — améliorations ou mises à niveau des navires ou équipements visant à réduire la consommation de carburant et les émissions), les outils numériques de gestion de flotte (digital fleet tools — logiciels et plateformes numériques permettant de suivre, planifier et optimiser les opérations des navires) et l’optimisation des escales portuaires (port call optimization — planification et coordination des arrivées et départs des navires pour réduire le temps au port et la consommation de carburant) — investissements à fort taux de rendement interne (IRR — Internal Rate of Return, indicateur de rentabilité financière d’un investissement) et faible risque d’exécution — tout en préservant une flexibilité stratégique pour les solutions hydrogène/ammoniac/e-carburants à mesure que les infrastructures nécessaires se déploient.
  • Gestionnaires des risques (risk managers — professionnels responsables d’identifier, d’évaluer et de surveiller les risques financiers et opérationnels pour les institutions financières): Intégrer les pondérations des critères et les scores des stratégies dans les limites sectorielles (plafonds d’exposition financière par secteur), les ajustements de probabilité de défaut (PD — Probability of Default, probabilité qu’un emprunteur ne rembourse pas) et de perte en cas de défaut (LGD — Loss Given Default, proportion de perte financière si un défaut survient), ainsi que dans les tests de résistance au risque de transition (stress tests simulant l’impact financier des changements liés à la transition énergétique). Surveiller les règles liées à l’intensité carbone des carburants (quantité de CO₂ émise par unité de carburant consommé) et au transfert du prix du carbone (carbon-price pass-through — mécanisme par lequel les coûts liés au carbone sont répercutés sur les prix finaux) pour anticiper les risques sur les revenus des entreprises de transport maritime, des ports et des emprunteurs liés au commerce.
  • Conseils d’administration (Boards — organes de gouvernance responsables de superviser la stratégie et les décisions clés d’une organisation, notamment financières et opérationnelles): Arrimer les objectifs de décarbonation à la planification du capital (planification des investissements et allocations financières pour atteindre les objectifs, avec priorité à l’efficacité énergétique d’abord et aux carburants ensuite), imposer des déclencheurs de jalons (milestones — événements ou conditions spécifiques déclenchant des actions ou financements, par ex. infrastructures de corridors, préparation au soutage ou au chargement électrique), et superviser la divulgation sur la résilience des scénarios et les trajectoires de dépenses en capital (capex pathways — planification et suivi des dépenses d’investissement en capital pour atteindre les objectifs de décarbonation).
  • Décideurs publics et régulateurs: Mobiliser le capital privé via la finance mixte (blended finance — combinaison de financements publics et privés pour réduire les risques et attirer des investissements), les rehaussements de crédit (credit enhancements — garanties ou mécanismes réduisant le risque pour les investisseurs) et les programmes d’obligations vertes (green bonds — titres financiers dédiés au financement de projets à impact environnemental positif). Synchroniser les investissements portuaires et de corridors avec les échéances du processus MEPC-83 (Comité de protection du milieu marin de l’Organisation Maritime Internationale, Marine Environment Protection Committee, 83e session — qui définit les règles et normes pour réduire les émissions et protéger le milieu marin) afin de réduire les risques des projets pionniers.

Références

[1] United Nations. (2025). COP30 to take place 6-21 November 2025 in Belém, Brazil. United Nations Climate Change. https://www.un.org/en/climatechange/cop30

[2] UNICA. (2025). UNICA at COP30 – "Maritime fuels and decarbonization." SugarCane. https://www.sugarcane.org/event/unica-at-cop30-maritime-fuels-and-decarbonization/

[3] International Maritime Organization. (2025). IMO Side Event at COP30. https://www.imo.org/en/about/events/pages/imo-side-event-cop30.aspx

[4] Bouramdane, A. (2025). Optimal Pathway for Decarbonizing Canada's Maritime Transport: Short-Term (2025–2035), Medium-Term (2035–2050), and Long-Term (2050 and beyond). Canadian Public Policy. https://utppublishing.com/doi/10.3138/cpp.2025-019

[5] Bouramdane, A.-A. (2025). Optimal Pathway for Decarbonizing Canada's Maritime Transport: Short-Term (2025–2035), Medium-Term (2035–2050), and Long-Term (2050 and beyond). Global Risk Institute. https://globalriskinstitute.org/publication/optimal-pathway-for-decarbonizing-canadas-maritime-transport-short-term-2025-2035-medium-term-2035-2050-and-long-term-2050-and-beyond/

Ayat-Allah BOURAMDANE
Rédigé par Ayat-Allah BOURAMDANE

Enseignante - Chercheure