Energie
Découverte
De l’énergie électrique à base de vigne
Yoshihiko Takano , chercheur en physique à l’Institut national des sciences des matériaux de Tsukuba au Japon, a découvert il y a quelques mois que les boissons alcoolisées conféraient, sous certaines conditions, des propriétés extraordinaires à des matériaux tout à fait ordinaires. Les supraconducteurs ont ceci de remarquable qu’ils conduisent l’électricité sans aucune résistance. Si l’on pouvait fabriquer des câbles électriques aériens à partir de matériaux supraconducteurs, ils ne perdraient presque plus de courant au cours du transport, d’où des économies et des réductions d’émissions de CO2. Par ailleurs, les supraconducteurs repoussent les champs magnétiques, ce qui veut dire qu’ils peuvent faire léviter n’importe quel matériel un tant soit peu magnétisé y compris des trains.
Avec des propriétés aussi remarquables, on pourrait s’attendre à trouver des supraconducteurs dans nombre de domaines. Ce n’est pourtant pas le cas, parce que ces propriétés étonnantes n’apparaissent que quand ces matériaux sont soumis à des températures extrêmement basses, dans la plupart des cas proches du zéro absolu [0K (kelvin), soit –273,15°C, une température théorique impossible à atteindre].
Voilà qui constitue une source de frustration depuis 1911, date à laquelle les supraconducteurs ont été
caractérisés. Le physicien néerlandais Heike Kamerlingh Onnes s’était à l’époque aperçu qu’il pouvait faire perdre toute résistance électrique au mercure en le refroidissant à 4,2K [–268°C] dans de l’hélium liquide.
Depuis lors, on a découvert de nombreux autres supraconducteurs métalliques, mais aucun ne fonctionne audessus d’environ 25K [–248°C], ce qui est bien trop froid pour que ces matériaux puissent être utilisés en dehors d’applications très spécialisées.
Un grand pas a cependant été franchi en 1987, quand Alex Müller et Georg Bednorz, du Centre de recherche IBM de Zurich, ont élaboré un matériau qui devenait supraconducteur à la température on ne peut plus douce de 92K [–181°C]. Les travaux de ces deux chercheurs ont déclenché une frénésie de recherche sur les supraconducteurs dits “à haute température”. Contrairement aux supraconducteurs de première génération, ces nouveaux matériaux sont des céramiques contenant des couches d’atomes de cuivre et d’oxygène. Mais, surtout, ils fonctionnent à des températures qu’on peut atteindre par l’utilisation d’azote liquide [77K, –196°C], ce qui permet d’envisager davantage d’app lications pratiques.
Aujourd’hui, le record mondial du supraconducteur le plus chaud est détenu par un mélange de mercure, de baryum et de calcium, plus les couches habituelles de cuivre et d’oxygène. Il possède des propriétés supraconductrices à la température de 135K [ –138°C ] .
Des matériaux analogues sont testés actuellement dans des câbles électriques et pour la lévitation des trains.
Toutefois, 135 K demeure une température très basse. Pour progresser, les chercheurs aimeraient savoir ce qui fait la particularité des supraconducteurs à haute température. Malheureusement, les théoriciens n’ont toujours pas expliqué ce phénomène. Si les supraconducteurs métalliques ont révélé leurs mystères, il n’existe pas de théorie satisfaisante pour leurs équivalents à haute température. Il est juste probable que les couches de cuivre et d’oxygène, présentes dans tous les supraconducteurs à haute
température, jouent un rôle.
La découverte de Takano pourrait apporter un début d’explication. En 2008, un groupe de chercheurs de l’Institut de technologie de Tokyo a mis au point un tout nouveau type de supraconducteur. Constitué de fer, d’arsenic, d’oxygène et de lanthane, il a mis en émoi le milieu de la supraconductivité.
Des tests n’ont pas tardé à montrer que ces supraconducteurs à base de fer partageaient de nombreuses caractéristiques avec ceux à haute température, notamment du point de vue de la structure, les couches de fer et d’arsenic ressemblant beaucoup à celles de cuivre et d’oxygène. Même s’ils ne fonctionnent pas à des températures particulièrement élevées, on espère que ces composés apporteront de nouveaux éclairages théoriques sur la supraconductivité à haute température. La fièvre du fer n’a pas tardé à gagner Takano et son équipe, qui ont commencé à tester une recette très simple à base de fer et de tellure.
L’histoire aurait pu s’arrêter là si l’un des étudiants de Takano n’avait pas été plaqué par sa copine. Tout à son chagrin d’amour, l’étudiant a manqué à ses obligations professionnelles. Ainsi, lorsque son professeur lui a demandé de nouveaux échantillons de fer-tellure-soufre pour des tests, il n’en avait aucun à fournir. Il a donc apporté un vieil échantillon qui était resté à l’air libre pendant plusieurs semaines. A la surprise générale, l’échantillon en question a donné des signes de vie supraconductrice… Pourquoi un composé inexploitable devenait-il soudain intéressant? “Nous avons découvert que la coexistence de l’eau et de l’oxygène était importante”, assure Takano, après quelques essais.
Cela a amené le chercheur à se demander quelle autre substance pourrait avoir le même effet. L’inspiration lui est venue en la personne de Yoichi Kamihara, l’un des découvreurs des supraconducteurs au fer.
Kamihara est venu à l’institut de Tsukuba en mars2010 pour y donner une conférence. Takano a donc fait ce que n’importe qui aurait fait en pareil cas: il a organisé un pot d’accueil. Et, pendant les réjouissances, il a eu une idée lumineuse. Il a demandé à l’un de ses étudiants de l’aider à escamoter certaines des boissons –du vin, de la bière, du whisky, du saké et du shochu, une boisson alcoolisée japonaise pour faire des expériences.
Plus tard, au laboratoire, ils ont fait chauffer ces alcools à 70°C pour accélérer les éventuelles réactions, puis y ont plongé leurs échantillons pendant vingt-quatre heures.
Après quoi ils ont testé leur supraconductivité. Les résultats ont été spectaculaires.
Toutes les boissons ont fonctionné, le vin rouge montrant la plus grande efficacité. Le degré d’alcool des boissons n’est donc pas l’explication. L’équipe de Takano a aussi essayé d’utiliser des mélanges d’eau et d’éthanol avec des degrés d’alcool de plus en plus forts, mais aucun n’a aussi bien fonctionné que les boissons initiales. Le chercheur japonais ne s’explique toujours pas pourquoi le fait de plonger le composé fer-tellure-soufre dans du vin rouge le rend supraconducteur. Il pense que c’est peutêtre lié à la présence de molécules antioxydantes, les polyphénols, très abondantes dans le vin rouge.
Le chercheur et son équipe s’apprêtent maintenant à étudier la structure cristalline du fer-tellure-soufre avant et après immersion dans le vin rouge. Ils espèrent ainsi découvrir le mécanisme à l’origine de la supraconductivité et peut-être trouver certaines pistes qui pourraient nous conduire à une meilleure maîtrise des supraconducteurs à haute température. Comme un bon bordeaux, les travaux de Takano se bonifient avec le temps. On ne saurait donc trop lui conseiller d’utiliser de bon vin.
Synthèse Energies et Mines