Energie

Hydrogène, Captage et Stockage du CO2 et Sobriété Énergétique : Tour d’Horizon

Nous avons tous vu le prix de notre alimentation exploser récemment et beaucoup se posent la question combien de temps va durer cette inflation. Le facteur le plus important est le prix de l’énergie, qui a des répercussions sur toute la production alimentaire. Pour illustrer ce point, la matière première pour produire des engrais azotés, pour l’agriculture, ou pour transporter les marchandises est l’énergie fossile. Ainsi, par exemple, lorsque le gaz devient plus cher, tous nos aliments deviennent plus chers. À cela s’ajoute la hausse des prix des emballages et les mauvaises récoltes liées aux conséquences du réchauffement climatique [1] (notamment les sécheresses, inondations et vagues de chaleur [2, 3]) dans le monde et particulièrement en Afrique et au Maroc [4] (SMRY [5]).

À l’heure actuelle, il semble encore impossible de prédire les conséquences des sanctions économiques imposées à la Russie, particulièrement leur impact indirect sur l’approvisionnement énergétique et alimentaire des économies clientes du pays. Cependant, il est clair que cette confrontation a d’ores et déjà mis à mal nos modèles de transition énergétique [6].

L’hydrogène, les dispositifs de Captage, Stockage et Utilisation (CSU) du CO2, et la sobriété énergétique font partie des leviers indispensables pour décarboner des pans entiers de notre économie. Mais comme toutes les options de transition énergétique, chacune véhicule aussi de nombreuses illusions [7, 8]. Dans cet article, nous examinons ce que chaque option peut et ne peut pas faire pour la transition énergétique du Maroc.

L’hydrogène est-il un leurre ou une vraie solution pour limiter le réchauffement climatique global d’ici 2100 ?
Ces dernières années, l’hydrogène a fait l’objet de nombreuses publications scientifiques, techniques et économiques. Plusieurs pays en développement ou industrialisés ont élaboré « une stratégie hydrogène » et essayent d’avancer sur le sujet pour faire face à la crise énergétique et aux aléas du changement climatique. Par exemple, plusieurs initiatives ont été récemment lancées qui illustrent l’engagement du Maroc pour une transition énergétique réussie [9]. En ce sens, des réductions de coûts
sont attendues tout au long de la chaîne de valeur de la filière hydrogène. Un deuxième volet porte sur la création d’un cluster industriel par la formation des ressources humaines. Le troisième axe de la stratégie marocaine consiste à sécuriser les financements nécessaires au développement de l’hydrogène en renforçant la coopération internationale, ainsi qu’en créant de nouveaux partenariats. Mais l’hydrogène est-il un leurre ou une vraie solution pour la crise climatique ?

En effet, il est connu que l’hydrogène ne constitue pas une source d’énergie qu’on trouve directement dans la nature. Il faut donc le produire à partir d’autres énergies. On parle alors de vecteur énergétique [10]. Quand l’hydrogène est extrait de l’énergie fossile, on dit qu’il est « gris ». Il devient « bleu » lorsque le CO2 dégagé est capté et enfoui sous terre. Il est dit « rose » ou « jaune » quand il est produit à partir de l’électricité d’origine nucléaire, et « vert » lorsque l’électricité provient d’une source renouvelable.

L’hydrogène est principalement utilisé pour la décarbonation des procédés industriels « Power to Industry » (ex. purification de carburants, production d’ammoniac utilisé principalement pour la production d’engrais agricoles, production d’acier et de
ciment, etc.).

L’hydrogène est également devenu un carburant alternatif d’avenir pour la mobilité terrestre (voiture), ferroviaire (train), maritime (bateau ou bateau) et aérienne (avion). On parle de « Power to Mobility ». En effet, les voitures à hydrogène peuvent remplacer les voitures électriques à batterie, qui souffrent actuellement d’une autonomie et d’un temps de charge limités, et peuvent remplacer les véhicules diesel ou essence. Cependant, pour des raisons de rendement énergétique et d’empreinte carbone, l’électrique est à privilégier pour les véhicules routiers légers. D’un point de vue environnemental, le principal avantage de l’hydrogène concerne les faibles capacités requises pour les batteries. Cela réduit la pression sur les ressources et la pollution causée par l’extraction minière [11]. La filière hydrogène implique également la consommation de minéraux, notamment pour les piles à combustibles et les électrolyseurs, mais la criticité dépendra du niveau de développement de la filière [11]. En termes de coût, les voitures à hydrogène sont désormais plus chères que les voitures à essence ou électriques. L’hydrogène devra être circonscrit aux secteurs qui ne peuvent pas être électrifiés, comme l’aviation, le transport maritime ou les routes de longue distance.

L’hydrogène, enfin, peut décarboner les réseaux gaziers « Power to Gas » ou apporter un levier de stabilité dans un système électrique qui miserait largement sur des énergies renouvelables dont la production est variable et intermittente. Par exemple, lors des pics de production, l’électricité excédentaire peut être convertie en hydrogène, qui est stocké dans un électrolyseur et utilisé plus tard. Lors des pics de consommation, l’hydrogène peut être utilisé par une pile à combustible pour générer de l’électricité, remplaçant ainsi les centrales électriques dites d’appoint « back-up ».

On voit que l’hydrogène se prête à de nombreux usages. Ce qui, pour certains, en fait le vecteur central de la transition énergétique. Cependant, le passage de la faisabilité scientifique à l’utilisation industrielle est difficile.

Les études disponibles permettent ainsi d’estimer un faible rendement de la chaîne hydrogène, qui peut varier selon la nécessité ou non de le comprimer. Cette faiblesse de rendement se répercute sur le coût, rendant la généralisation de ce vecteur improbable à l’horizon 2030/50, en raison de nombreuses incertitudes liées à la technologie, à l’évolution des progrès ou des contraintes techniques, de sécurité et de ressources ou de déploiement des différentes énergies.
Actuellement, une grande partie de l’hydrogène produit provient de combustibles fossiles. Il faut donc décarboner sa production en priorité, plutôt que de réfléchir plus largement à son utilisation pour d’autres usages industriels ou de transport.

Un autre point essentiel est qu’il faut trop de litres d’eau pour produire de l’hydrogène. En outre, l’eau utilisée doit être d’une grande pureté et donc traitée. Le dérèglement climatique en cours [4, 5] va accentuer les périodes de stress hydrique et les divers usages seront alors en concurrence.

La production à grande échelle d’hydrogène vert pourrait avoir des conséquences néfastes sur le climat en raison de la relative facilité avec laquelle ces toutes petites molécules peuvent fuiter des réservoirs qui les stockent ou des canalisations qui les transportent. L’hydrogène ne peut jouer son rôle de vecteur d’énergie que si l’on peut le transporter et stocker efficacement, à moindre coût et dans des conditions de sécurité acceptables.

Captage, Stockage et Utilisation (CSU) de CO2 : une chimère ou une impulsion nécessaire vers la neutralité carbone ?
Les Accords de Paris se sont fixé pour objectif de maintenir le réchauffement climatique « bien en dessous de 2°C » d’ici 2100 par rapport aux températures préindustrielles. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) montre également que nous serions bien mieux à +1,5°C [12]. Il faut donc atteindre la neutralité carbone vers 2050.

Cependant, il est quasiment impossible d’arrêter toutes les émissions de gaz à effet de serre, d’autant plus que les énergies fossiles représentent encore une part importante de l’approvisionnement énergétique mondial. Des « puits » de carbone seront donc nécessaires, y compris les forêts et/ou l’exploitation des installations de Captage, Stockage et Utilisation (CSU) du CO2.

Cependant, le CSU est encore complètement ignoré voire vilipendé dans la stratégie énergétique marocaine. Cette négligence reflète en partie le recours à d’autres voies de décarbonation, étant donné que la technologie n’est pas encore mature et donc trop chère, mais aussi des échecs de coordination.

Il est nécessaire de pouvoir déployer une trajectoire plausible prenant en compte les dispositifs de CSU, étant donné qu’ils font partie du panel de solutions analysées par le GIEC dans son rapport dédié aux mesures d’atténuation du réchauffement climatique [13].

Sobriété énergétique : une arme pacifique face à la crise énergétique et alimentaire ?
Des mesures peuvent être mises en place rapidement pour devenir plus économes en énergie et réduire les factures énergétiques.
Par exemple : réduire l’éclairage des entreprises ou autres établissements pendant toutes les heures de fermeture, notamment la nuit et le week-end ; installer des détecteurs de présence ; paramétrer la veille des ordinateurs et éteindre les écrans la nuit.

Nous pouvons également anticiper des délestages électriques (par exemple, en cas de tension sur le réseau d’électricité, certaines entreprises peuvent être déconnectées pour diminuer la consommation). Ce délestage peut prendre plusieurs formes : coupures pour les grands consommateurs industriels, réduction de la tension envoyée au réseau, ou « délestages tournants » (couper une zone pendant quelques heures, puis remettre le courant et couper une autre zone si c’est encore nécessaire). Le délestage tournant n’est pas techniquement un black-out, car il n’est pas généralisé, mais les personnes concernées le ressentiront comme tel.

Il s’agit également d’utiliser des éclairages basse consommation, d’inciter la population à réduire l’impact environnemental de leur déplacement en les encourageant au covoiturage et/ou aux transports en commun, en privilégiant les voitures électriques ou hybrides; de mettre en place le télétravail lorsque cela est possible, ou mettre en place des horaires décalés pour rendre les déplacements plus fluides; de diversifier le mix énergétique, les options de flexibilité, tout en tenant en compte l’impact du
changement climatique et le budget alloué à l’investissement dans les énergies renouvelables [14].

De plus, si nous changeons notre régime alimentaire pour une alimentation moins riche en viande, c’est mieux pour la santé, moins cher pour le consommateur et plus respectueux de l’environnement puisque qu’on élève moins de bétail [1].

L’objectif de ces actions est de réduire la consommation d’énergie en modifiant les comportements, les modes de vie et l’organisation collective.
On peut penser que ces leviers sont coercitifs, mais ils peuvent être applicables dans des délais très courts, permettant de respecter les courts délais fixés par le GIEC et les exigences de la guerre en Ukraine.
A l’inverse, tout ce qui nécessite la construction d’infrastructures sur plusieurs années ne pourra pas résoudre le problème énergétique dans l’immédiat.

Références
[1] Ayat-Allah Bouramdane. « Quelle Relation entre Agriculture et Changement Climatique« . In: énergie/mines & carrières (2023).
DOI: 10.5281/zenodo.7730008.
[2] Ayat-Allah Bouramdane. “Chaleur Caniculaire, Incendies Gigantesques à Répétition: Des Signes du Changement Climatique?” In: énergie/mines & carrières (2022). DOI: 10.5281/zenodo.7594264.
[3] Ayat-Allah Bouramdane. “Sécheresse: L’extrême Va-t-il Progressivement Devenir la Norme?” In: énergie/mines & carrières (2022). DOI: 10.5281/zenodo.7594311.
[4] Bouramdane, A.-A. Assessment of CMIP6 Multi-Model Projections Worldwide: Which Regions Are Getting Warmer and Are Going through a Drought in Africa and Morocco? What Changes fromCMIP5 to CMIP6? Sustainability 2023, 15, 690. https://doi.org/10.3390/su15010690
[5]
Bouramdane, A.-A.: Determining Vulnerable Areas to Warming and Drought in Africa and Morocco Based on CMIP6 Projections: Towards the Implementation of Mitigation and Adaptation Measures, EGU General Assembly 2023, Vienna, Austria, 24–28 Apr 2023, EGU23-2456, https://doi.org/10.5194/egusphere-egu23-2456, 2023.
[6] Ayat-Allah Bouramdane. “Mix Électrique Marocain : Défis Face à l’Urgence Climatique”. In: énergie/mines & carrières (2022). DOI: 10.5281/zenodo.7594427.
[7] Ayat-Allah Bouramdane. “PV, CSP et Éolien au Maroc : Intégration à Géométrie Variable”. In: énergie/mines & carrières (2022). DOI:
10.5281/zenodo.7594221.
[8] Ayat-Allah Bouramdane. “Pourquoi l’Atténuation et l’Adaptation aux Changements Climatiques sont Complémentaires ?” In: énergie/mines & carrières (2022). DOI: 10.5281/zenodo.7594404.
[9] Ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement (MEME), https://www.mem.gov.ma/
[10] Alleau, Thierry. “L’Hydrogène, Vecteur de la Transition Énergétique.” Ressources Énergétiques et Stockage (2020).
[11] Ayat-Allah Bouramdane. “Minéraux de la Transition Énergétique : Criticité Géologique, Géostratégique et Environnementale”. In: énergie/mines & carrières (2023). DOI: 10.5281/zenodo.7594617.
[12] Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Working Group II Contribution to the IPCC Sixth Assessment Report.
[13] Climate Change 2022: Mitigation of Climate Change. Working Group III Contribution to the IPCC Sixth Assessment Report.
[14] Ayat-Allah Bouramdane. “Scenarios of Large-Scale Solar Integration with Wind in Morocco: Impact of Storage, Cost, Spatio-Temporal Complementarity and Climate Change”. Theses. Institut Polytechnique de Paris, Oct. 2021.

Par Ayat-allah Bouramdane (PhD)
Ingénieure-chercheure dans le domaine des énergies renouvelables, flexibilité d’énergie (ex., stockage) et variabilité/changement climatique.

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