Energies Renouvelables
Analyse des Matériaux des Catalyseurs pour la Synthèse de l’Ammoniac à Partir de l’Hydrogène Vert
La production d’ammoniac est au cœur de nombreux processus industriels, en particulier dans le secteur agricole où il est utilisé comme composant clé des engrais. Cependant, la synthèse de l’ammoniac à partir de l’hydrogène est une réaction complexe et énergivore, nécessitant des catalyseurs efficaces pour maximiser l’efficacité énergétique de ce processus, réduire les coûts de production et minimiser l’impact environnemental associé [1, 2].
En effet, la synthèse d’hydrogène vert en ammoniac est un processus qui vise à produire de l’ammoniac (NH 3) à partir d’hydrogène vert (H 2 ) généré à partir d’énergies renouvelables. Voici une description générale du processus :
• Production d’Hydrogène : L’hydrogène vert est produit par électrolyse de l’eau. Cette électrolyse utilise de l’électricité provenant de sources renouvelables telles que l’énergie solaire ou éolienne pour diviser l’eau (H 2 O) en hydrogène (H 2 ) et oxygène (O 2 ) [3].
• Synthèse de l’Ammoniac (Réaction de Haber-Bosch) : L’hydrogène vert produit est ensuite utilisé dans le processus de synthèse de l’ammoniac, qui est couramment réalisé par la réaction de Haber-Bosch. Cette réaction chimique consiste à combiner l’hydrogène (H 2 ) avec le diazote de l’air (N 2 ) sous haute pression et à haute température, en présence d’un catalyseur à base de fer ou de cobalt ou autre. La réaction chimique produit de l’ammoniac (NH 3 ) selon l’équation : N 2 + 3H 2 → 2NH 3 [2].
• Compression et Stockage de l’Ammoniac : L’ammoniac produit est ensuite comprimé pour faciliter le stockage et le transport. L’ammoniac a l’avantage d’avoir une densité énergétique élevée et peut être stocké plus facilement que l’hydrogène gazeux. Cela le rend adapté au transport et au stockage à grande échelle [2, 4].
• L’Utilisation de l’Ammoniac : L’ammoniac peut être utilisé de différentes manières pour contribuer à la transition énergétique. Il peut servir de carburant pour les piles à combustible, produire de l’électricité, ou être utilisé comme matière première dans l’industrie chimique pour la fabrication de produits tels que des engrais [2, 4].
• Valorisation de l’Azote Émis : La réaction de synthèse de l’ammoniac libère également de l’azote. Dans certains cas, cet azote peut être valorisé ou utilisé dans d’autres processus, contribuant ainsi à minimiser les émissions de gaz à effet de serre [2, 4].
Les catalyseurs utilisés dans la synthèse de l’hydrogène en ammoniac sont divers, et leur évaluation sous différents critères par la méthode de prise de décision multicritère (Multi-Criteria Decision-Making ou MCDM, en anglais) permet d’identifier les matériaux les plus adaptés [5, 6].
• Catalyseurs à base de Fer (Fe) : Le fer est souvent utilisé comme catalyseur dans le procédé Haber-Bosch. Le fer est abondant et peu coûteux, ce qui le rend économiquement attrayant. Il a également une activité catalytique élevée pour la synthèse d’ammoniac. Cependant, la susceptibilité à la désactivation, en particulier par la formation de carbonyles de fer, peut limiter la durée de vie du catalyseur. Les conditions opératoires peuvent également influencer sa
performance.
• Ruthénium (Ru) : Le ruthénium est efficace pour la synthèse d’ammoniac, offrant une haute activité catalytique et une stabilité thermique. Cependant, le coût élevé du ruthénium en fait un catalyseur plus onéreux. De plus, sa rareté peut poser des problèmes d’approvisionnement à grande échelle.
• Nickel (Ni) : Le nickel est un catalyseur bien établi pour la synthèse d’ammoniac, abordable et largement disponible. Néanmoins, sa susceptibilité à la dégradation sous forme de sintering (agglomération des particules) peut entraîner une perte d’activité au fil du temps, nécessitant des régénérations fréquentes.
• Cobalt (Co) : Le cobalt est moins cher que le nickel et offre une stabilité accrue, avec une réduction moindre de l’activité catalytique au fil du temps. Cependant, bien que plus stable, le cobalt peut nécessiter des conditions opératoires spécifiques pour maintenir sa performance optimale.
• Le Molybdène (Mo) : Le molybdène présente une résistance élevée à la dégradation, même à des températures élevées. Néanmoins, son coût relativement élevé et la nécessité d’additifs pour améliorer l’activité catalytique peuvent être des limites économiques.
L’évaluation des matériaux des catalyseurs utilisés dans la synthèse de l’hydrogène en ammoniac à l’aide de la méthode de prise de décision multicritère (MCDM) implique la considération de plusieurs critères pour prendre des décisions informées.
• L’Efficacité Catalytique : Elle est définie comme la capacité du catalyseur à favoriser la réaction de synthèse de l’hydrogène en ammoniac.
Différents matériaux de catalyseurs peuvent présenter des performances variables en termes d’efficacité catalytique. Certains matériaux peuvent être plus actifs, accélérant la réaction d’hydrogène en ammoniac, tandis que d’autres peuvent présenter une activité moindre. Une faible efficacité catalytique peut entraîner une augmentation de la consommation d’énergie nécessaire pour produire une quantité donnée d’ammoniac, freinant ainsi les efforts de transition énergétique vers des processus plus durables.
• Stabilité et Durabilité : La stabilité et la durabilité des catalyseurs sont également des facteurs critiques. Il s’agit de la résistance du catalyseur à la dégradation et la capacité à maintenir ses performances au fil du temps.
Certains matériaux peuvent subir des dégradations plus rapides en raison des conditions sévères de la réaction chimique (e.g., variations extrêmes de température, de pression, de concentration de gaz ou d’autres facteurs), nécessitant des remplacements fréquents. Cela peut entraîner des coûts élevés de maintenance et de matériaux, ainsi qu’une augmentation
de la production de déchets, contrecarrant ainsi les objectifs de durabilité de la transition énergétique.
• Le Coût : Les coûts initiaux englobent l’achat des matériaux nécessaires à la fabrication du catalyseur, ainsi que les frais de conception et de production. Les catalyseurs à base de métaux précieux comme le ruthénium peuvent avoir des coûts initiaux significativement plus élevés par rapport à des catalyseurs à base de métaux plus communs tels que le nickel ou le fer.
Les coûts opérationnels comprennent les dépenses liées à l’utilisation continue du catalyseur, y compris la consommation d’énergie nécessaire pour maintenir la réaction chimique. Des catalyseurs stables et efficaces peuvent nécessiter moins de maintenance et générer des coûts opérationnels plus bas.
Certains catalyseurs peuvent nécessiter une régénération périodique (e.g., lavage) pour restaurer leurs performances initiales après qu’il a subi une diminution d’activité (qui peut résulter de divers facteurs, tels que l’accumulation de produits indésirables, la contamination par des impuretés, la dégradation thermique, ou d’autres réactions secondaires qui altèrent la structure ou la composition du catalyseur), tandis que d’autres peuvent avoir une durée de vie plus limitée, nécessitant un remplacement fréquent. Les coûts associés à ces processus de régénération ou de remplacement influent sur la rentabilité à long terme.
La gestion des déchets résultant de l’utilisation des catalyseurs peut entraîner des coûts supplémentaires. Certains matériaux, en particulier les catalyseurs à base de métaux rares, peuvent nécessiter des procédures spécifiques pour leur élimination, ce qui peut être onéreux.
Des matériaux potentiellement toxiques ou dangereux peuvent nécessiter des investissements dans des mesures de sécurité accrues.
Les catalyseurs utilisant des matériaux rares ou en voie de raréfaction peuvent être sujets à des coûts de disponibilité élevés, en raison de la demande croissante et de la limitation des ressources.
• La disponibilité des matériaux : Il s’agit de la facilité d’obtention des matériaux nécessaires à la fabrication du catalyseur.
Les catalyseurs à base de métaux tels que le nickel et le fer, qui sont abondants dans la croûte terrestre, bénéficient d’une disponibilité relativement élevée. Cela réduit le risque de pénurie due à des contraintes géologiques.
Certains catalyseurs utilisent des métaux moins communs, comme le ruthénium ou le rhénium, qui sont plus rares. La rareté peut entraîner des coûts élevés et une vulnérabilité aux fluctuations de l’offre.
Les coûts associés à l’extraction, au raffinage et au traitement des matériaux influencent leur disponibilité économique. Des coûts élevés peuvent rendre certaines sources moins compétitives.
Diversifier les sources d’approvisionnement en matériaux peut réduire la dépendance à l’égard de régions géographiques spécifiques ou de fournisseurs, minimisant ainsi les risques liés à des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement.
L’avancement des technologies d’extraction et de récupération peut influencer la disponibilité des matériaux. Par exemple, des techniques d’extraction plus efficaces peuvent étendre la viabilité de matériaux auparavant moins pratiques.
Les relations politiques et économiques entre les pays producteurs et consommateurs de matériaux peuvent affecter la disponibilité. Les tensions géopolitiques peuvent entraîner des interruptions de l’approvisionnement.
Une forte dépendance à l’égard de certains pays producteurs peut accroître le risque de perturbations. La diversification des sources réduit ce risque.
L’existence de technologies de recyclage efficaces peut contribuer à prolonger la disponibilité des matériaux en réduisant la nécessité d’une extraction continue.
• Impact Environnemental : Les matériaux des catalyseurs peuvent également avoir des implications environnementales. Certains éléments ou composés utilisés dans les catalyseurs peuvent être rares, toxiques, ou associés à des problèmes environnementaux lors de leur extraction et de leur traitement. L’exploration de nouveaux matériaux respectueux de
l’environnement devient ainsi cruciale pour minimiser l’impact écologique du processus de synthèse d’hydrogène en ammoniac.
• Adaptabilité aux Énergies Renouvelables : Les sources d’énergie renouvelables, telles que le solaire et l’éolien, présentent une variabilité inhérente. Ainsi, les catalyseurs doivent être flexibles pour s’ajuster aux fluctuations de production d’énergie liées aux conditions météorologiques et aux cycles journaliers.
La production d’hydrogène à partir d’électrolyse, alimentée par des énergies renouvelables, peut générer de l’hydrogène sous des conditions spécifiques de température et de pression.
Les catalyseurs doivent démontrer une flexibilité pour fonctionner dans une plage diversifiée de conditions thermiques et de pression, alignées sur les particularités de ces sources d’énergie.
L’objectif ultime de l’adaptabilité des catalyseurs aux énergies renouvelables est de minimiser les interruptions de la production d’ammoniac. En étant flexibles, les catalyseurs contribuent à maintenir une production stable, même lorsque les sources d’énergie renouvelable
connaissent des périodes d’intermittence, assurant ainsi la continuité opérationnelle du processus.
La prise de décision multicritère dans le choix des matériaux des catalyseurs est cruciale pour équilibrer ces divers aspects. Il s’agit de trouver un compromis optimal entre l’efficacité catalytique, la stabilité, la durabilité, le coût, la disponibilité des matériaux, l’impact environnemental, et l’adaptabilité aux énergies renouvelables. Différentes méthodes de prise de décision multicritère doivent être utilisées pour pondérer ces critères et classer différents matériaux en fonction de ces critères, fournissant ainsi des orientations précieuses pour des choix éclairés sur le catalyseur optimal en fonction des objectifs spécifiques de la synthèse d’hydrogène en ammoniac.
• AHP (Analytic Hierarchy Process) : Les critères sont structurés en une hiérarchie, avec des niveaux pour les objectifs, les critères et les sous-critères, et les alternatives (types de matériaux).
Les comparaisons par paire sont effectuées pour établir des relations de préférence, permettant de calculer des pondérations. L’AHP est utile pour prendre en compte la complexité des interactions entre les critères, entre les alternatives, et entre les critères et alternatives [3, 7].
• TOPSIS (Technique for Order of Preference by Similarity to Ideal Solution) : Les catalyseurs sont évalués par rapport à une solution idéale et une solution anti-idéale, en fonction des critères. Les distances euclidiennes entre chaque catalyseur et ces solutions sont calculées, et un indice de similarité est établi. Le catalyseur le plus proche de la solution idéale et le plus éloigné de la solution anti-idéale est considéré comme le meilleur. TOPSIS est particulièrement utile lorsque les évaluations doivent être basées sur la proximité aux idéaux définis [8].
• PROMETHEE (Preference Ranking Organization METHod for Enrichment Evaluations): PROMETHEE est une méthode basée sur des comparaisons directes entre paires d’alternatives. Elle permet d’établir un classement préférentiel en considérant les préférences déclarées des décideurs [9].
• ÉLECTRE (Élimination et Choix Traduisant la Réalité) : ÉLECTRE est une méthode non-compensatoire qui élimine progressivement les alternatives moins préférées en utilisant des seuils de concordance et de discorde. Elle convient lorsque des seuils de performance minimale sont essentiels [10].
Références :
[1] Ozturk, M., & Dincer, I. (2021). An Integrated System For Ammonia Production From Renewable Hydrogen: A Case Study. International Journal of Hydrogen Energy, 46, 5918-5925.
[2] Ghavam, S., Vahdati, M., Wilson, I.A., & Styring, P. (2021). Sustainable Ammonia Production Processes. Frontiers in Energy Research.
[3] Bouramdane, A. (2024). Crafting an optimal portfolio for sustainable hydrogen production choices in Morocco. Fuel.
[4] Awano, T. (2023). Green Ammonia Value Chain. Marine Engineering.
[5] Humphreys, J., Lan, R., & Tao, S. (2020). Development and Recent Progress on Ammonia Synthesis Catalysts for Haber–Bosch Process. Advanced Energy and Sustainability Research.
[6] Fürstner, A. (2016). Iron Catalysis in Organic Synthesis: A Critical Assessment of What It Takes To Make This Base Metal a Multitasking Champion. ACS Central Science, 2, 778 – 789.
[7] Bouramdane, A.-A. Optimal Water Management Strategies: Paving the Way for Sustainability in Smart Cities. Smart Cities 2023, 6, 2849-2882. https://doi.org/10.3390/smartcities6050128
[8] Ghosh, A., Mal, P., & Majumdar, A. (2019). Technique for Order of Preference by Similarity to Ideal Solution (TOPSIS). Advanced Optimization and Decision-Making Techniques in Textile Manufacturing.
[9] Thakkar, J.J. (2021). Preference Ranking Organization Method for Enrichment Evaluations (PROMETHEE).
[10] Pinem, A.P., & Pungkasanti, P.T. (2018). Application Elimination Et Choix Traduisant La REalité (ELECTRE) On Decission Support System.
Par Ayat-Allah Bouramdane (PhD)
Professeure Assistante au Laboratoire des Énergies Renouvelables et Matériaux Avancés (LERMA), Collège Ingénierie & Architecture, de l’Université Internationale de Rabat (UIR).