Energies Renouvelables

L’hydrogène naturel peut-il rivaliser avec l’hydrogène vert et bleu en Afrique et au Maroc ?

L’hydrogène naturel, également connu sous le nom d’hydrogène géologique ou blanc, émerge comme une ressource énergétique prometteuse pour l’Afrique, et plus particulièrement pour le Maroc. Cet article examine les zones favorables à l’hydrogène naturel au Maroc et en Afrique, ainsi que les avantages et inconvénients associés à son exploitation, tout en analysant comment il peut répondre aux besoins de divers secteurs.

L’hydrogène naturel, également connu sous le nom d’hydrogène géologique, est un type de gaz qui se trouve librement dans les couches souterraines de la Terre. Contrairement à l’hydrogène produit industriellement à partir de combustibles fossiles avec capture et stockage du carbone « hydrogène bleu» * ou d’électrolyse de l’eau «hydrogène vert» **, l’hydrogène naturel existe sous forme moléculaire (H2) dans les formations géologiques.
L’extraction de l’hydrogène naturel se fait généralement par des techniques de forage. Une méthode courante est la fracturation hydraulique, également connue sous le nom de « fracking ». Ce processus consiste à injecter un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques sous haute pression dans les roches souterraines. Cette injection crée des fractures dans les formations rocheuses, permettant au gaz piégé, y compris l’hydrogène, de s’échapper et d’être récupéré à la surface [1].

Ces dernières années, cette source d’énergie largement négligée a suscité un intérêt considérable en tant que source d’énergie propre qui pourrait contribuer à la décarbonisation d’un large éventail d’industries [2, 3]. En
effet, l’hydrogène peut être utilisé dans des centrales à hydrogène pour produire de l’électricité, contribuant ainsi à la décarbonation du secteur énergétique.
Il peut servir de moyen de stockage d’énergie renouvelable, permettant de pallier l’intermittence des sources comme le solaire et l’éolien.
L’hydrogène peut également alimenter des véhicules électriques à pile à combustible, tels que les voitures, les camions, les bus et même les trains, réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre et la dépendance aux combustibles fossiles.

L’hydrogène pourrait également être utilisé comme carburant alternatif pour l’aviation et le transport maritime, secteurs où les options de décarbonisation sont actuellement limitées.
Dans les industries à forte consommation d’énergie, comme la sidérurgie et la cimenterie, l’hydrogène peut remplacer les combustibles fossiles pour la production de chaleur, réduisant ainsi les émissions de CO2 [4].
L’hydrogène est une matière première essentielle pour la production de produits chimiques tels que l’ammoniac (pour les engrais) et le méthanol (matière première pour la production de nombreux produits chimiques, tels que les plastiques).

L’hydrogène peut être également utilisé dans des chaudières à hydrogène pour fournir du chauffage et de l’eau chaude dans les bâtiments, réduisant ainsi l’empreinte carbone du secteur résidentiel et commercial. Les systèmes de cogénération utilisant l’hydrogène peuvent fournir à la fois de l’électricité et de la chaleur, améliorant l’efficacité énergétique des bâtiments.
L’hydrogène naturel peut être utilisé comme un complément ou une alternative à l’hydrogène vert **, offrant ainsi une solution plus économique et plus rapide à déployer.

Des efforts d’exploration de gisements d’hydrogène naturel sont en cours dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis, au Canada, en France, en Espagne, en Colombie et en Corée du Sud [5].

Le Maroc a identifié plusieurs zones prometteuses pour l’hydrogène naturel, notamment les bassins de Khémisset, Benslimane, Berrechid et les provinces du Sud. Ces régions présentent des concentrations d’hydrogène en surface atteignant jusqu’à 1.7%. Cela signifie que dans ces zones, les mesures effectuées montrent que l’air contient environ 1.7% d’hydrogène. Cette concentration est relativement élevée et indique la présence probable de gisements d’hydrogène naturel dans le sous-sol. L’Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM) mène des recherches pour évaluer et exploiter ce potentiel, en collaboration avec des partenaires nationaux et internationaux [6].
A l’échelle du continent africain, plusieurs pays, dont le Mali, montrent également un potentiel pour l’hydrogène naturel [7].

Des découvertes significatives incluent également un réservoir en Lorraine, dans le nord-est de la France, contenant environ 46 millions de tonnes de dépôts d’hydrogène naturel. Cette découverte française représente à elle seule la moitié de la production mondiale d’hydrogène jusqu’en 2023 [7].

Malgré les incertitudes concernant sa production, des rapports récents suggèrent que si les projets pilotes en cours réussissent, l’hydrogène naturel pourrait jouer un rôle significatif dans l’approvisionnement mondial en hydrogène. En chiffres, cela signifie que d’ici 2050, l’hydrogène naturel pourrait contribuer jusqu’à 17 millions de tonnes métriques par an à l’offre globale en hydrogène [7], ce qui serait une part notable de la demande projetée pour cette source d’énergie propre.

La demande mondiale d’hydrogène à faible teneur en carbone devrait atteindre près de 200 millions de tonnes par an d’ici 2050, une augmentation significative par rapport au million de tonnes par an actuel, selon Wood Mackenzie***. Bien que la contribution de l’hydrogène naturel à ce total reste incertaine, son potentiel en tant que source d’énergie propre ne peut être négligé si les méthodes d’extraction s’avèrent efficaces et commercialement viables [7].

Wood Mackenzie* affirme que le soutien gouvernemental, similaire à celui accordé à l’hydrogène vert, pourrait considérablement stimuler l’industrie de l’hydrogène naturel. Les incitations financières pourraient conduire au développement de l’infrastructure nécessaire, rendant la production plus rentable [7].

L’hydrogène naturel est continuellement généré par des processus géologiques, en faisant une source d’énergie potentiellement renouvelable qui pourrait être exploitée pendant des siècles [8, 9].
Actuellement, les coûts élevés de production de l’hydrogène vert, allant de 6 à 12 dollars par kilogramme, posent des défis pour une adoption généralisée [7]. En revanche, l’hydrogène naturel, s’il est soutenu, pourrait être produit pour moins d’un dollar par kilogramme [7, 10]. Contrairement à l’hydrogène vert, la production d’hydrogène naturel ne nécessite ni eau propre ni infrastructure coûteuse de captage et de stockage du carbone [10].
L’hydrogène naturel pourrait potentiellement être mélangé au gaz naturel et transporté via les réseaux de gazoducs existants, permettant une transition plus rapide et plus abordable vers la décarbonisation [11].

Cependant, les processus géologiques qui génèrent l’hydrogène naturel ne sont pas encore pleinement compris, et l’étendue et la répartition des gisement mondiaux restent largement inconnues [10]. Des avancées dans les techniques géophysiques et géochimiques d’exploration sont nécessaires pour localiser et quantifier les dépôts d’hydrogène naturel.

De plus, le coût d’extraction et de traitement de l’hydrogène naturel reste incertain. Si les technologies d’extraction s’améliorent, l’hydrogène naturel pourrait devenir une option compétitive.
Bien que l’hydrogène naturel soit généralement considéré comme une source d’énergie propre, la fracturation hydraulique est une technique controversée en raison de ses impacts environnementaux, tels que la contamination des nappes phréatiques et l’augmentation de l’activité sismique [5].
L’établissement d’un marché pour l’hydrogène naturel dépendra de la démonstration de ses avantages économiques par rapport aux autres formes d’hydrogène.

Pour conclure, l’hydrogène naturel a le potentiel de rivaliser avec l’hydrogène bleu* et l’hydrogène vert** en Afrique et au Maroc, mais son succès dépendra de plusieurs facteurs, notamment la disponibilité des ressources, la viabilité économique, les avancées technologiques et le soutien politique. La poursuite de l’exploration, de la recherche et des politiques de soutien est essentielle pour libérer le potentiel de l’hydrogène naturel et déterminer son rôle dans l’économie future de l’hydrogène.

*L’hydrogène bleu est produit à partir du gaz naturel avec capture et stockage du carbone (CSC) pour réduire les émissions. L’Afrique, y compris l’Afrique du Nord, dispose de réserves importantes de gaz naturel, qui peuvent être utilisées pour la production d’hydrogène bleu. Le succès de l’hydrogène bleu dépend de l’efficacité et de l’évolutivité des technologies de CSC. Cela nécessite des investissements importants et un soutien réglementaire.
Les politiques qui imposent des coûts sur les émissions de carbone peuvent rendre l’hydrogène bleu plus attractif en atténuant son impact environnemental [7].

** L’hydrogène vert est produit par électrolyse en utilisant des sources d’énergie renouvelables telles que le solaire et l’éolien. L’Afrique et le Maroc possèdent un potentiel significatif pour ces énergies, rendant la production d’hydrogène vert envisageable [12]. Le développement de l’infrastructure nécessaire pour la production d’énergie renouvelable à grande échelle et l’électrolyse est crucial. Avec la diminution des coûts de l’énergie solaire et éolienne, l’hydrogène vert devient de plus en plus attractif. Les économies d’échelle et les avancées technologiques dans l’électrolyse peuvent encore réduire les coûts.

*** Wood Mackenzie est une entreprise de conseil et de recherche dans le domaine de l’énergie, des métaux et des mines. Elle fournit des analyses, des données et des services de conseil pour aider les chercheurs, les
professionnels de l’industrie et les gouvernements à prendre des décisions éclairées sur les marchés de l’énergie et des ressources naturelles.

Références :
[1] Connaissance des Énergies. « L’hydrogène Naturel : Curiosité Géologique ou Source d’Énergie Majeure dans le Futur ? »
https://www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/lhydrogene-naturel-curiosite-geologique-ou-source-denergie-majeure-dans-le-futur
[2] Carbone4. « Hydrogène Bas-Carbone : Quels Usages Pertinents à Moyen Terme dans un Monde Décarboné ? »
https://www.carbone4.com/publication-hydrogene-bas-carbone
[3] Blay-Roger, R., Bach, W., Bobadilla, L.F., Reina, T.R., Odriozola, J.A., Amils, R., & Blay, V. (2024). Natural Hydrogen in the Energy Transition: Fundamentals, Promise, and Enigmas. Renewable and Sustainable Energy Reviews.
[4] Bouramdane, A-A. (2024), « L’Essor de l’Hydrogène Vert pour Décarboner le Secteur Industriel dans l’Ère de l’Accord de Paris », énergie/mines & carrières, URL: https://energiemines.ma/lessor-de-lhydrogene-vert-pour-decarboner-le-secteur-industriel-dans-lere-de-laccord-de-paris/
[5] CNBC. « A Global Gold Rush For Buried Hydrogen Is Underway — As Hype Builds Over Its Clean Energy Potential »
https://www.cnbc.com/2024/03/26/natural-hydrogen-a-new-gold-rush-for-a-potential-clean-energy-source.html
[6] Finances News. « Stratégie Énergétique : Benkhadra Détaille les Grands Chantiers de l’ONHYM »
https://fnh.ma/article/actualite-economique/benkhadra-onhym
[7] H2 Energy news. « Can Natural Hydrogen Compete with Green and Blue Hydrogen? » https://energynews.biz/can-natural-hydrogen-compete-with-green-and-blue-hydrogen/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=can-natural-hydrogen-compete-with-green-and-blue-hydrogen
[8] Energy Observer. « Quel Potentiel pour l’Hydrogène Naturel » https://www.energy-observer.org/fr/ressources/hydrogene-naturel
[9] Renewable Matter. « Natural Hydrogen: A Geological Curiosity or the Primary Energy Source for a Low-Carbon Future »
https://www.renewablematter.eu/en/natural-hydrogen-a-geological-curiosity-or-the-primary-energy-source-for-a-low-carbon-futurel
[10] GEOSCIENTIST. « Natural Hydrogen: The New Frontier » https://geoscientist.online/sections/unearthed/natural-hydrogen-the-new-frontier/
[11] American Gas Association (AGA). « Natural Hydrogen Has Been Underestimated » https://www.aga.org/natural-hydrogen-has-been-underestimated/
[12] Bouramdane, A-A. (2023). Crafting an Optimal Portfolio for Sustainable Hydrogen Production Choices in Morocco. Fuel.
https://doi.org/10.1016/j.fuel.2023.130292

Par Ayat-Allah Bouramdane
Enseignante-Chercheure à l’Université Internationale de Rabat (Collège I&A – LERMA lab).

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