Energies Renouvelables

L’essor de l’hydrogène vert pour décarboner le secteur industriel dans l’ère de l’Accord de Paris

Les politiques actuelles mises en place dans le monde devraient entraîner un réchauffement d’environ 2.7°C par rapport aux niveaux préindustriels.
Les Contributions Déterminées au niveau National (CDN) seules limiteront le réchauffement à 2.5°C.
Lorsque les objectifs contraignants à long terme ou de neutralité carbone sont inclus, le réchauffement serait limité à environ 2.1°C au-dessus des niveaux préindustriels.
Même en supposant de manière optimiste que les gouvernements de 140 pays atteignent les objectifs de neutralité carbone, adoptés ou en cours de discussion, l’estimation médiane du réchauffement n’est limitée qu’à 1.8°C.
Les trajectoires actuelles des politiques et des engagements sont donc bien au-dessus des voies compatibles avec l’objectif à long terme de l’Accord de Paris.
Limiter le réchauffement à 1.5°C au-dessus des niveaux industriels signifie que les émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent être réduites rapidement dans les années à venir, environ réduites de moitié d’ici 2030, et ramenées à zéro peu après le milieu du siècle [1].

Pour réduire efficacement les émissions de GES, il est crucial de comprendre quels secteurs y contribuent le plus.
Les secteurs de l’énergie, des transports, de l’agriculture, et de l’industrie sont parmi les principaux responsables des émissions globales.

En particulier, le secteur industriel joue un rôle majeur, représentant une part importante des émissions mondiales de GES, soit 24% en 2019 [2].
Dans le secteur industriel, les émissions de GES proviennent de sources directes et indirectes. Les sources directes incluent principalement la combustion de charbon, de pétrole et de gaz naturel pour alimenter les équipements industriels tels que les chaudières, les fours et les générateurs de vapeur. Ces combustibles génèrent des émissions directes de dioxyde de carbone (CO2), de dioxyde de soufre (SO2) et d’oxydes d’azote (NOx).

Certains processus industriels eux-mêmes génèrent des émissions directes de GES. Par exemple, le processus de production de clinker, l’ingrédient principal du ciment, implique la calcination du mélange de matières premières (i.e., le calcaire, l’argile et le minerai de fer). Pour atteindre des températures élevées nécessaires à la calcination, des combustibles fossiles sont brûlés dans les fours à ciment. Cette combustion émet une quantité significative de CO2.

La production d’acier génère également des émissions de GES à travers le processus de réduction du minerai de fer. Dans les hauts fourneaux, le minerai de fer est chauffé avec du charbon ou du coke pour en extraite le fer, libérant ainsi du CO2 comme sous-produit.
Un autre exemple concerne l’usine de production de roues Dicastal, située à Kénitra au sein de la Zone de Libre-Échange Atlantique (AFZ), qui dépend actuellement du gaz naturel pour ses processus de chauffage, notamment dans des activités telles que la peinture et le moulage. Un rapport technique récent [3] explore la faisabilité de la modernisation des processus de chauffage au gaz naturel en utilisant de l’hydrogène vert. Ce rapport examine également la pertinence de cette transition dans différents contextes industriels au Maroc.
Les fuites de gaz industriels, comme les hydrofluorocarbures (HFC), les perfluorocarbures (PFC) et l’hexafluorure de soufre, utilisés comme agents de refroidissement, isolants et autres, contribuent également de manière notable aux émissions directes.

Les sources indirectes, quant à elles, incluent la consommation d’électricité, avec des émissions associées à la production d’électricité utilisée pour alimenter les équipements auxiliaires dans les usines, comme les broyeurs et les convoyeurs, surtout si cette électricité provient de sources fossiles. Les émissions indirectes comprennent également les émissions de GES provenant du transport de matières premières vers les sites industriels et du transport de produits finis vers les marchés. Cela inclut les émissions des camions, des trains, des navires, et d’autres moyens de transport utilisés dans la chaîne d’approvisionnement industrielle.

La réduction des émissions dans le secteur industriel nécessite une approche intégrée [4], englobant l’amélioration de l’efficacité énergétique, l’adoption de technologies moins émettrices, et la mise en place de politiques incitatives.
D’après le World Resource Institute (WRI) [5], afin de respecter l’objectif à court terme aligné sur 1,5°C, la part de l’électricité dans la demande finale d’énergie du secteur industriel devrait connaître les évolutions suivantes : elle devrait grimper à 35 à 43 % d’ici 2030, à 51 à 54 % d’ici 2040, et enfin à 60 à 69 % d’ici 2050.
En outre, il est prévu que l’intensité carbone de la production mondiale de ciment diminue pour atteindre 360 à 370 kilogrammes de dioxyde de carbone par tonne (kgCO2/t) de ciment d’ici 2030, et entre 55 et 90 kgCO2/t de ciment d’ici 2050.

De plus, l’intensité carbone de la production mondiale d’acier doit diminuer pour se situer dans une fourchette de 1 340 à 1 350 kilogrammes de dioxyde de carbone par tonne (kgCO2/t) d’acier brut d’ici 2030, puis réduire encore jusqu’à 0 à 130 kgCO2/t d’acier brut d’ici 2050.
L’adoption de l’hydrogène vert doit également croître rapidement, atteignant 58 millions de tonnes d’ici 2030, puis augmentant jusqu’à 329 millions de tonnes d’ici 2050.

Tandis que nous envisageons des solutions pour réduire les émissions industrielles à l’échelle mondiale, il est également essentiel d’examiner les actions spécifiques prises par les pays pour contribuer à cet effort collectif. Le Maroc, par exemple, a renforcé son engagement en matière d’action climatique en soumettant sa dernière mise à jour des CDN à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) en juillet 2021. Cette nouvelle promesse renforcée comprend un objectif inconditionnel, qui n’est pas lié à des conditions spécifiques telles que le financement extérieur ou le soutien technologique, visant à réduire les émissions de 18,3% par rapport aux projections du scénario du Statu Quo (SQ) d’ici 2030. Il s’agit d’une augmentation notable par rapport à la réduction de 17 % fixée dans l’objectif précédent des CDN.
De plus, l’objectif conditionnel a été renforcé pour viser une réduction de 45 % par rapport au SQ d’ici 2030, contre une réduction initiale de 42 % [6].

Reconnaissant le potentiel solaire et éolien du Maroc, le ministère de l’Énergie, des Mines et de l’Environnement a élaboré en 2021 une feuille de route [7] pour l’hydrogène au sein de la commission nationale de l’hydrogène, créée en 2019. La stratégie prévoit trois phases de développement : court terme (2020-2030), moyen terme (2030-
2040) et long terme (2040-2050).
En général, la stratégie comprend un investissement continu dans la recherche et le développement pour réduire les coûts et améliorer l’efficacité des technologies d’hydrogène vert. Elle prévoit également un fort soutien à la création de pôles industriels, à l’optimisation de l’utilisation des infrastructures et à la promotion de la collaboration entre les parties prenantes, tout en garantissant simultanément des mécanismes de financement solides pour catalyser le développement de projets d’énergies renouvelables et d’initiatives d’hydrogène vert. De plus, elle envisage l’exportation de produits dérivés de l’hydrogène vert vers les pays engagés dans des objectifs ambitieux de décarbonation. Enfin, la stratégie prévoit également l’utilisation locale de produits dérivés de l’hydrogène vert, notamment comme vecteur de stockage d’énergie pour soulager la congestion du réseau, dans l’industrie des engrais pour la production d’ammoniac vert, et dans les transports comme carburant.

Récemment, le Maroc a lancé une initiative [8] pour le développement de la filière de l’hydrogène vert, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur.
Cette initiative s’adresse aux investisseurs ou consortiums souhaitant produire de l’hydrogène vert et ses dérivés à une échelle industrielle au Maroc, en vue de répondre aux besoins du marché domestique, de l’exportation, ou des deux simultanément.
Le Maroc a identifié une vaste superficie de terres publiques, totalisant un million d’hectares, pour le développement de la filière de l’hydrogène vert. Dans une première phase, 300 000 hectares seront disponibles pour les investisseurs.
L’initiative comprend également la planification et l’établissement d’une infrastructure compétitive conforme aux normes internationales, ainsi que des mesures incitatives et un soutien pour les porteurs de projets.

En conclusion, il est clair que nous sommes à un moment décisif de notre lutte contre le changement climatique.
Alors que les trajectoires actuelles du réchauffement climatique nous éloignent toujours des objectifs ambitieux fixés par l’Accord de Paris, il est impératif que nous intensifiions nos efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, en particulier celles provenant du secteur industriel.
Notre analyse a mis en lumière les défis complexes auxquels nous sommes confrontés, mais elle a également révélé les opportunités et les solutions qui existent. De l’augmentation de l’utilisation de l’électricité dans le secteur industriel à la réduction de l’intensité carbone dans la production de matériaux de base, en passant par l’essor de l’hydrogène vert comme alternative prometteuse, nous disposons des outils nécessaires pour amorcer une transition vers une économie à faible émission de carbone.
Le cas du Maroc illustre l’importance de l’engagement national et des initiatives stratégiques pour accélérer cette transition. Cependant, la transition vers une économie durable ne peut réussir que si elle est menée de manière collective et coordonnée à l’échelle mondiale. Il est temps pour tous les acteurs, des gouvernements aux entreprises en passant par la société civile, de redoubler d’efforts pour réaliser la vision de l’Accord de Paris et garantir un avenir climatique sûr et prospère pour les générations futures.

Références :
[1] Climate Action Tracker (CAT), https://climateactiontracker.org/
[2] United States Environmental Protection Agency (EPA), Global Greenhouse Gas Overview,
https://www.epa.gov/ghgemissions/global-greenhouse-gas-overview
[3] Bouramdane, A.-A., Degiovanni, A., « Retrofitting Moroccan Industrial Heating Processes: Dicastal Wheel’s Production
Plant as a Case Study in the Sustainable Shift from Natural Gas to Green Hydrogen”, http://dx.doi.org/10.13140/RG.2.2.29433.03688
[4] Bouramdane, A. (2024). Morocco’s Path to a Climate-Resilient Energy Transition: Identifying Emission Drivers, Proposing
Solutions, and Addressing Barriers. Science and Technology for Energy Transition, https://doi.org/10.2516/stet/2024021
[5] World Resources Institute (WRI), State of Climate Action 2023, https://www.wri.org/research/state-climate-action-2023
[6] Morocco’s Nationally Determined Contribution under the United Nations Framework Convention on Climate Change,
https://unfccc.int/sites/default/files/NDC/2022-06/Moroccan%20updated%20NDC%202021%20_Fr.pdf
[7] Feuille de Route Hydrogène Vert Vecteur de Transition Énergétique et de Croissance Durable, https://www.lebrief.ma/wp-
content/uploads/2022/06/Feuille-de-route-de-hydroge%CC%80ne-vert-avec-compression.pdf
[8] HESPRESS, Mars 2024, Hydrogène vert: Ce qu’il faut savoir sur l’Offre Maroc, https://fr.hespress.com/356964-hydrogene-
vert-ce-quil-faut-savoir-sur-loffre-maroc.html

Par Ayat-Allah Bouramdane (PhD)
Enseignante-Chercheure à l’Université Internationale de Rabat (Collège I&A – LERMA lab)

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