Carrieres

Les roches ornementales du Maroc

Cet article ne prétend pas recenser toutes les carrières, car les renseignements disponibles au départ étaient incomplets et il n’existe pas d’organisme capable d’indiquer la situation, l’activité et la production des sites marocains. En cours de route, nous avons questionné un certain nombre de personnalités de l’industrie marbrière et obtenu des informations partielles sur ces sujets.

LES ROMAINS, lors de la construction de la ville de Volubilis, ont a fait appel presque uniquement à un calcaire gris-bleu local du Jurassique; quelques une des statues trouvées étaient en marbre, et l’on remarque de rares traces de marbres dans les dallages de sols.
Au cours de la période islamique, qui a débuté en 684 ou 705, la pierre a peu été employée : on a préféré l’architecture de terre dans le Sud, de brique ou blocages dans le Nord, les décorations en plâtre ou cèdre sculptés, les revêtements de céramique vernissée. Marbres et onyx ont cependant été utilisés en décoration par les bâtisseurs des dynasties Almohades et Mérinides du XII au XVIe siècle ; cependant
les revêtements ont disparu, ou bien les édifices conservés ne se visitent pas, si bien que l’on ne dispose pas d’informations sur l’origine des marbres, qui ont pu être importés d’Andalousie (les marbres
de Macaël étaient alors exploités). Sous les Saadiens (1548 à env. 1650), dont les tombeaux sont conservés à Marrakech, le marbre de Carrare a été importé pour l’édification des pierres tombales et des colonnes des mausolées, la sculpture des vasques et des chapiteaux : la marbre était dit-on troqué contre du sucre, poids pour poids : les marocains se félicitent de cet échange, considérant que le sucre a depuis longtemps disparu, tandis que le marbre reste. A la fin du XIXe siècle, le vizir Ba Ahmed fit importer à nouveau du marbre de Carrare, pour les dallages de son palais de la Bahia, dont les plaques ont inégalement résisté à l’exposition au soleil.
Si les premières entreprises de marbrerie ont été créées en 1912, la réelle période d’expansion se situe de 1945 à 1965, avec une production de 12000 t en 1965, due pour beaucoup à des entrepreneurs d’origine italienne. Puis un déclin s’amorce lors de la marocanisation des sociétés.
La construction de la Grande Mosquée Hassan II à Casablanca, commencée en juin 1986 et achevée en août 1993, a assuré un nouvel essor de la production, faisant appel exclusivement à des roches ornementales locales, à l’exception des 45 vasques en marbre de Carrare. Il reste encore à compléter les bâtiments encadrant la place monumentale.
Les revêtements en roches ornementales ont été fournis par les Grandes Marbreries du Sud (GMS), société créée en 1987 spécialement dans ce but.
Les carrières produisaient 800 à 900 m3 par mois, une usine de transformation fut ouverte à Agadir ; au total 235000 m2 de roches ornementales ont été posés, dont 150000 m2 en façade et 1350 colonnes.
Les principales roches utilisées ont été le travertin «Roudani» de Taroudannt, la pierre jaune-beige de Boujad, le granite rose et le granite gris de Tafraoute, le marbre rouge de Tioute, la serpentinite d’Emvi et le marbre vert de Ben Guerir.

Notions de géologie du Maroc
Le Maroc a été divisé en plusieurs zones structurales entre le craton africain d’âge précambrien (orogenèse panafricaine) au Sud et la chaîne alpine du Rif au Nord, beaucoup plus récente (Eocène à Miocène supérieur).
Le bouclier saharien : Le socle ancien de gneiss et migmatites du Tiris (3288 à 2373 Ma) a été métamorphisé pendant l’orogénèse éburnéenne (env. 2000 Ma), et intrudé à l’E par les granites d’Ain Bentili (2037 Ma). Il est recouvert en discordance à l’Est par le Protérozoïque supérieur (1100 à 750 Ma), et vers l’Ouest par les nappes des Mauritanides (mises en place à la fin du Dévonien vers 360 Ma, lors d’une phase calédonienne). Au Nord se superpose un bassin Paléozoïque très calme (Tindouf), et vers l’Ouest un bassin crétacé et tertiaire s’ouvrant vers l’Atlantique.
L’Antiatlas : Dans les chaînons de l’Antiatlas, en bordure du Sahara, affleure une série paléozoïque modérément plissée, recouverte par la discordance du Crétacé supérieur.
Le Précambrien affleure dans plusieurs massifs, depuis Ifni jusqu’au Jebel Sarhro et au voisinage d’Erfoud ; il comprend peut-être des terrains de l’Archéen, mais surtout du Protérozoïque volcano-sédimentaire : cette série est intrudée par deux séries de granites, les uns anciens 1700-2000 Ma (granites éburnéens), les autres beaucoup plus récents comme ceux de Tafraoute (549 Ma), rapportés à l’orogénèse panafricaine : au dessus, repose en discordance une série du Précambrien terminal («Adoudounien»), formée de dolomies à stromatolites puis d’une série violacée «lie de vin», en conformité avec le Cambrien.
Dans le Précambrien de Bou Azzer, au S de Ouarzazate, est connu un complexe de serpentinites, affleurant sur 50 km de long, et ayant fourni des minerais de cuivre et de cobalt ; les serpentinites sont surmontées de jaspes, de calcaires et autres sédiments marins, et pourraient représenter une suture océanique éburnéenne. D’autres petits affleurements de serpentinites sont connus jusque dans le Haut Atlas (Cherotzky, 1969).
La série Paléozoïque de l’Antiatlas comprend environ 12000 m de sédiments marins, surtout formée de grès et d’argiles, dans lesquelles se trouvent plusieurs formations calcaires fournissant des roches ornementales :
– à la base, une puissante barre de calcaires du Cambrien inférieur, comprenant des lentilles riches en Archaeocyathus (organismes proches des éponges, en forme de cône à double parois, avec des cloisons radiales reliant les deux parois); ces calcaires sont faiblement métamorphisés (légère recristallisation).
– quelques bancs de calcaires noirs à Orthocères (nautiles déroulés) vers le sommet du Silurien).
– récifs dévoniens en plusieurs localités, et calcaires pélagiques à Orthocères et Goniatites (Ammonites du Paléozoïque) à Erfoud.
– quelques calcaires récifaux dans le Carbonifère près de Taouz.
Le plissement hercynien s’est produit vers la fin du Carbonifère ; après une longue érosion se sont déposés en discordance le Crétacé continental (à ossements de Vertébrés), la dalle de calcaires récifaux cénomano-turoniens, puis les évaporites du Sénonien.

La chaîne de l’Atlas
Cette barrière montagneuse continue, culminant à 4167 m au Jebel Toubkal au dessus de Marrakech, est franchie par de rares cols à plus de 2000 m d’altitude, elle reste enneigée jusqu’au printemps.
Vers l’WSW elle disparaît avant la côte près d’Agadir ; vers l’E elle se subdivise en deux branches encadrant les Hauts plateaux, la branche dirigée vers le NE étant appelée Moyen Atlas.
Le Précambrien et le Paléozoïque affleurent largement dans le Haut Atlas Occidental, et différent peu des séries de l’Antiatlas ; ils sont cependant plus fortement déformés par l’orogénèse hercynienne, qui s’est accompagnée de quelques intrusions granitiques, dont la plus importante est celle du Tichka, qui a transformé les calcaires cambriens par métamorphisme de contact.
Après les séries salifères du Trias, un vaste golfe marin se forme dans l’Est pendant le Jurassique inférieur et moyen, au cours d’une phase d’extension qui ouvre des fossés indépendants des directions hercyniennes : le Lias inférieur forme une plateforme carbonatée, parsemée de récifs au Lias moyen, l’ensemble ayant une épaisseur de 1000 à 1200 m.
Cette plateforme s’effondre au Lias supérieur, avec formation de deux sillons, l’un dans le Haut Atlas Oriental, l’autre dans le Moyen Atlas. La mer se retire au Jurassique supérieur ; le Crétacé inférieur est continental, après une phase de plissement se produit une vaste transgression marine du Cénomanien à l’Eocène, avec un épisode régressif au Sénonien.
Dans l’Ouest au contraire, entre Agadir et Essaouira, la série marine est continue du Jurassique au Crétacé terminal.
Le plissement et la formation des reliefs de l’Atlas sont liés principalement, après des phases mineures au Crétacé et à l’Eocène supérieur, au Miocène supérieur-Pliocène (étages mal datés dans les formations continentales) ; la déformation se produit surtout le long de faisceaux de failles longitudinales, avec un double déversement vers le N et le S. Il s’agirait d’une tectonique d’inversion des accidents anciens limitant les fossés d’effondrement jurassiques, en régime décrochant. Cette situation est assez comparable à la formation des Pyrénées, sauf qu’au Maroc il n’y a pas de
métamorphisme associé.
La Meseta : C’est massif hercynien pénéplané, recouvert de bassins de Crétacé supérieur-Eocène riches en phosphates; ces derniers sont peu déformés par les phases alpines, au contraire de l’Atlas et du Rif.
Le socle hercynien, intéressant pour ses roches ornementales, se rencontre dans trois massifs : les Jbilet au N de Marrakech, les Rehamna au N de Benguerir, et le «Massif Central» entre Casablanca et Azrou. Cette zone est caractérisée par la rareté des affleurements précambriens, une forte tectonique hercynienne (avec nappes dans l’Est), l’existence d’un métamorphisme régional dans l’Ouest, et des intrusions granitiques.
Des calcaires se trouvent dans le Cambrien inférieur, des récifs dans le Dévonien inférieur (Tiflet) et le Dévonien moyen (Oued Yqem), des lentilles de calcaires dans le Viséen (précédant le flysch du Culm).
Les intrusions granitiques hercyniennes forment plusieurs batholites âgés de 340 à 260 Ma (Carbonifère moyen à Permien), les plus jeunes étant post-tectoniques. Le raccourcissement produit par le plissement hercynien est orienté en gros NW-SE.
Après pénéplanation de la chaîne hercynienne, plusieurs golfes marins venant de l’Atlantique (Haha, Doukkala, Plateau des Phosphates, Sillon sud-rifain) déposent une série transgressive du Crétacé supérieur à l’Eocène inférieur : elle inclue les bancs calcaires du Turonien (Calcaires de Boujad) et la série phosphatée du Maestrichtien-Yprésien, grande source de richesse pour le Maroc.

La zone du Rif
Le Rif est l’arc montagneux, culminant à 2448 m au Tidiquin, qui se raccorde à la chaîne bétique d’Espagne à travers le détroit de Gibraltar. Au Sud, son avant-pays descend en pente douce vers la vallée du Sebou. L’ensemble est formé de nappes déversées vers le Sud, avec une structure complexe encore sujette à de nombreuses discussions.
Du Sud au Nord on rencontre l’avant fosse mio-pliocène, des nappes de calcaires et de flyschs, une dorsale calcaire, enfin la zone interne comprenant des nappes paléozoïques et cristallophylliennes. Ces dernières incluent le massif de péridotites peu serpentinisées de Bni Bouchra, comparables aux péridotites de Ronda en Andalousie et à celles de Lanzo dans les Alpes ; on a envisagé pour ces péridotites une origine intrusive, comme à Ronda, il s’agit plus probablement à notre avis d’une dénudation du manteau lors d’une ouverture océanique incomplète.
Les nappes internes se sont mis en place assez tôt (Eocène), tandis que les nappes externes viennent s’intercaler dans le Miocène supérieur.

Les roches Ornementales Précambrien de l’Antiatlas
Le massif de Tafraoute mérite une visite pour ses splendides paysages de boules granitiques roses : certaines boules ont été peintes de vives couleurs par un «artiste» belge qui a employé à cet effet 19 tonnes de peinture ! Le massif, daté de 549 Ma, (phase panafricaine), est intrusif dans des granites et schistes du Précambrien plus ancien. Une carrière de granite gris clair à gros grain a été exploitée au câble diamanté pendant la construction de la Grande Mosquée ; les carriers de GMS, revenus depuis au cordeau détonant, produisent de beaux blocs de 4 à 6 m3.
Une autre carrière GMS, accessible depuis Doutalzought, exploite un granite à grain moyen, légèrement rosé, comparé au Porriño de Galice ; elle a produit jusqu’à 600 m3 par mois au câble diamanté durant la période faste des dernières années, puis est revenue à l’usage de l’explosif, avec une activité réduite. Dans la même région une carrière a fourni à Tlata Tasrite un «granit» vert nommé Aourir (gabbro à dolérite selon la carte).
Une serpentinite bréchique verte à taches rouges, proche du Rosso Levanto de Ligurie, a fourni la plupart des colonnes extérieures de la Grande Mosquée de Casablanca ; selon Mr Casé, elle provient de la localité d’Emvi dans la région de Tiznit. Il pourrait s’agir d’une petite masse ophiolitique précambrienne, comparable aux serpentinites mentionnées dans l’Antiatlas oriental à Bou Azzer.
Près du douar de Nekob (prononcer N’rab), 23 km à l’WNW de Tazenakht (accès par 19 km de piste de montagne), le Précambrien II du Haut Atlas montre un petit affleurement de «serpentinite» dans une zone tectoniquement complexe et intrudée de granites (1786 Ma) ; en fait il s’agit d’un marbre vert clair, probablement dolomitique (densité 2,76), coloré par de la serpentine (antigorite), avec des taches gris violacé et localement des lamines noires. Ce marbre se trouve en bancs d’épaisseur métrique, à pendage de 60°, intercalé de couches de talc (qui font l’objet d’extractions artisanales). La carrière, qui n’a jamais été importante, est abandonnée depuis deux ans.

Cambrien inférieur
A Aglou, une puissante barre de calcaires du Cambrien inférieur a été exploitée par deux carrières, inactives à notre passage. Il s’agit d’un calcaire bleu noir à grain fin, à stylolites, riche en belles sections d’Archaeocyathus remplis de calcite blanche. L’aspect bréchique évoque un dépôt récifal de type mud mound, d’autant plus qu’on y observe des cavités irrégulières à remplissages d’onyx, évoquant les «stromatactis» des calcaires rouges dévoniens de Belgique et du Minervois. Ces Archaeocyathes ont été les premiers découverts au Maroc, par Bourcart, qui les trouva sur des galets de la plage en 1925 ; ils furent ensuite étudiés par Debrenne en 1964, qui détermina 25 espèces. Le massif, recoupé par une surface ancienne, est fortement karstifié, et les carrières n’ont pas encore atteint des niveaux moins altérés.
Les carrières de l’Akhssass se trouvent à une vingtaine de km au NNW de la ville, et sont plus facilement accessibles depuis le Nord à partir de Tiznit. Le Cambrien inférieur du flanc E du massif précambrien d’Ifni a un pendage d’environ 25° E. Nous avons visité quatre de ces carrières, qui produisent un marbre blanc à grain fin, avec lamines vertes onduleuses, stylolites, nodules roses à limites stylolitisées ; le niveau productif forme une barre d’environ 6 m, avec bancs plus épais que ceux des marbres encaissants. L’exploitation est faite au câble diamanté, avec une faible activité actuellement ; l’accès se fait par pistes peu commodes.
A Ifrane de l’Antiatlas, un calcaire récifal rouge, riche en Archaeocyathus recristallisés (et difficiles à déterminer), forme une barre d’environ 25 m, incluse entre des schistes violacés. Ce calcaire de couleur rouge violacé s’altère en boules, il est fortement karstifié; ses défauts sont des taches blanches et de nombreux stylolites stratiformes. La carrière, de petite taille, est inactive depuis deux ans.
Près d’Imi Mqourn, le Cambrien inférieur enveloppant le massif précambrien de Tafraoute produit le Blanc d’Agadir (Société Mabo, ou Marbreries de Bouskoura); c’est un calcaire marmorisé massif, peu métamorphique (stylolites encore visibles), formant des boules en surface (phénomène plus commun dans les granites que dans les calcaires). L’exploitation a commencé par les boules, et se poursuit maintenant dans la masse au câble diamanté. Une autre carrière plus au NE produit le Gris d’Agadir dans la même formation.
Le Rouge Agadir provenait de Touraght, 29 km au Sud de Taroudannt, où la carte signale un bioherme
à Archaeocyathus, qui serait sans doute comparable à celui d’Ifrane. Non loin au NE, la carrière de Tioute fournissait un calcaire noir.
Dans le Haut Atlas, nous mentionnerons la carrière de Tizi-n’Test : une piste de montagne partant du col conduit vers l’Ouest (sur 30 à 40 km m’a-t-on dit) à une carrière de haute montagne sur le flanc Sud du Tichka, au lieu-dit Iguenet’n. L’existence de marbres de diverses couleurs y avait été cartée par H. et G.
Termier en 1971, qui signalaient par ailleurs des marbres «d’une belle qualité ornementale» au NW du massif. Ces marbres proviennent du métamorphisme des calcaires du Cambrien inférieur : selon Gasquet (1991), les calcaires ont été affectés par un métamorphisme général du grade des Schistes Verts, et par un métamorphisme de contact sur quelques centaines de mètres au voisinage de l’intrusion granitique hercynienne du Tichka (environ 330 Ma), composée de lames verticales alternantes de granodiorites et de diorites. Le métamorphisme de contact a causé l’apparition de nombreux minéraux dans les marbres, comme amphiboles, grenats, diopside, calcite, épidote, wollastonite, etc. Les marbres du flanc Sud ont été redécouverts par un exploitant forestier français, et mis en production par GMS pour la Grande Mosquée jusqu’en 1994. Les marbres sont en couches verticales, avec diverses couleurs qu’il convient de trier : cette carrière était handicapée par un accès difficile pour les camions, le manque de place pour les engins et la haute altitude.
Le «cipolin» Vert Chane provient de petites carrières 20 km à l’Ouest de Benguerir (dans la Meseta), il est exploité par GMS dans une série du Cambrien moyen métamorphique, à pendage 25° S. Le marbre forme deux barres de près de 10 m d’épaisseur, plus ou moins décalées par des failles transverses. La barre inférieure a été travaillée au câble diamanté pendant la construction de la Grande Mosquée; la carrière actuelle se trouve dans la barre supérieure, l’extraction se fait par forage et explosif.
Il ne s’agit pas d’un cipolin, mais d’un marbre à silicates, sans doute dolomitique (il n’y a pas eu d’étude pétrographique à notre connaissance), très dur, à lamines rose-brun ou noires et quelques lentilles aplaties blanches. Le métamorphisme peut résulter soit du métamorphisme général assez élevé dans les Rehamna, soit du métamorphisme de contact résultant de la proximité de la grande intrusion de granite tardi-hercynien de Sebt-de-Brikiine (daté de 268 Ma, soit du Permien).
Bou Acila (Meseta) est l’une des plus anciennes exploitations de marbre du Maroc : signalée dès 1936 par P. Termier, elle produisait le «Skyros africain».
Près de la Maison Forestière de Bou Acila se trouve une ancienne exploitation au fil hélicoïdal, appelée carrière Lambinet, exploitée après guerre par la société Caratlas. Elle est située sur un anticlinal étroit de calcaires marmorisés, long de 3,7 km et large au maximum de 400 m ; le marbre, vraisemblablement cambrien, surmonte des schistes verts rattachés au Précambrien à l’E, il est recouvert d’une série volcano-détritique à l’W. Son pendage est très redressé (plus de 60°WNW). C’est un marbre blanc à grain fin, avec des lamines brun-rouge ou noires assez régulièrement disposées, mais fortement étirées (linéation bien marquée). Morin (1960) y signale du chlorite et de l’amphibole.
Sur les anciennes coupes verticales et horizontales faites au fil, se dessine un réseau de fractures brunes ou violacées, procurant un aspect bréchique, accompagné de quelques taches noires. Il en résulte un marbre très fragile, avec de fines fractures rendant difficile l’obtention de blocs sains. Cette carrière, ainsi que ses voisines, ne fournit plus que des concassés, qui sont produits en grande partie manuellement.

Silurien
Le Silurien supérieur de Tazzarine (dans l’Antiatlas) fournit un calcaire bleu-noir fétide, très décoratif par sa richesse en Orthocères blancs. La carrière se trouve 10 km à l’ESE de la ville, au pied d’une colline cotée 959 m. Le banc à Orthocères, épais de 1 à 1,7 m, est inclus dans des argiles vertes ou rouges à filonets de gypse (altération de la pyrite), il a été daté du Ludlovien par Choubert en 1938. Les Orthocères sont disposés parallèlement à la stratification, et montrent un alignement préférentiel, avec la pointe dirigée vers le Nord. Dans la carrière Est, le banc à Orthocères a été protégé de l’altération par une couverture argileuse de 3-4 m ; il est plus altéré dans la carrière Ouest. Le banc est subdivisé par quelques joints onduleux, qui peuvent causer un délitage des blocs; de plus les fractures sont assez proches (2 m) et les blocs restants ne dépassent pas 1 à 2 m3. Ces carrières, appartenant à une société hispano-marocaine, sont inactives depuis deux ans, bien que le matériel d’exploitation soit resté sur place : les deux gardiens s’occupent en dégageant des Trilobites de leur gangue. D’autres affleurements discontinus de calcaires siluriens à Orthocères se trouvent dans les régions de Foum Zguid et Tata, sans doute aussi en d’autres lieux de la bordure Sud de l’Antiatlas jusqu’à la province de Es Smara.

Dévonien
Les carrières de Tiflet exploitent le Dévonien inférieur de la Meseta ; les cartes indiquent un anticlinorium étroit (2 km de large sur 20 km de long), complexe (trois bandes de Silurien et intrusions granitiques), et faillé longitudinalement. Le calcaire affleure assez mal, sur une surface ancienne recouverte de Quaternaire ancien. C’est un calcaire bioclastique gris clair légèrement violacé, fortement fracturé et recimenté par un réseau de filonets gris (brèche tectonique monogénique). Les carrières, situées 5 km au S de Tiflet, sont exploitées par des moyens antiques : le dégagement des importants remplissages karstiques est fait à la pelle et à la pioche, les blocs extraits au fil hélicoïdal avec du sable, ou encore avec des trous de mine forés à la barre à mine et à la masse. Il en résulte des blocs informes, retaillés plus ou moins à la broche et à la massette.
A Ben Slimane, les calcaires du Dévonien moyensupérieur forment de bons affleurements, à pendage subvertical ; ils sont affectés de nombreuses failles N-S. Il s’agit d’un calcaire récifal gris violacé, très décoratif, à grands polypiers lamellaires et branchus, et quelques stylolites bien cimentés. On y voit une carrière en cours d’ouverture, incluant une importante installation de concassage, et une carrière artisanale procédant par tirs isolés de poudre noire et fente aux coins, les blocs étant tirés par un treuil manuel. Plus loin, une troisième carrière est exploitée par Marbre Diffusion-Promomarbre : sous la direction de A. Carli, la découpe est faite au câble diamanté, ce qui va permettre l’exportation de blocs correctement équarris.
La pierre d’Erfoud (Antiatlas oriental) était extraite dans une petite carrière à 12 km au SE de la ville. Il n’y a qu’un seul banc de calcaire fossilifère, riche en Goniatites, Orthocères et Clyménies ; il est épais de 1 m au maximum, et perd de l’épaisseur vers le NE. Son pendage, faible, est dirigé vers le SE. Ce niveau de calcaire pélagique est attribué au Famménien discordant par Michard (1976, p.65-66); c’est un calcaire à grain assez fin, de couleur naturelle bleu sombre; il est sans doute riche en pyrite à l’origine, car dans la zone oxydée qui est exploitée la pierre est brune, avec des lits et nodules irréguliers de limonite. On remarque aussi des taches roses colorées par des oxydes de manganèse. La carrière, très superficielle, est abandonnée depuis deux ans ; elle a été exploitée simplement par forages et coins ; des blocs ont été envoyés en Italie, d’autres sont sciés par l’entreprise Marmar à Erfoud avec un antique châssis à sable (2 cm/heure). La même entreprise polit sommairement les plaques avec une genouillère, effectue un rebouchage avec une résine et du ciment blanc, et découpe des tables et objets de décoration : cependant, le polissage initial étant insuffisant, les tables sont enduites de vernis synthétique, et c’est ce vernis qui est poli à la main avec des papiers abrasifs et de l’eau (grades 60 à 600), puis lustrés à la brosse rotative. Une autre carrière est mentionnée 8 km au SW de Rissani.

Carbonifère
Dans la Meseta, entre Boujad et Khénifra se trouvent de larges affleurements d’une barre de calcaire bleunoir à Entroques et Brachiopodes, faiblement marmorisé, avec filonets blancs, appartenant au Viséen : bien que nous n’ayons vu que des exploitations de concassage, il existerait une carrière de blocs. De même on nous a signalé une carrière de calcaire noir dans le secteur de l’oued Cherrat au SW de Rabat. Parmi les granites hercyniens, le petit massif d’Oulmès, au SW de Meknes, est exploité par Promomarbre, qui extrait un granite gris clair appelé Gris Pharaon, avec grains de couleur grenat. Selon Mrini et al. (1992), le massif est composé de granites à deux micas et de granites fins à silicates d’alumines, datés de 262 à 291 Ma, c’est à dire du Permien (granite post-tectonique).
D’autres ressources en granites se trouvent dans la Meseta : massif des Jbilet au N de Marrakech (granite hyperalumineux, 330 Ma), granites à biotite et leucogranites des Rehamna (265-268 Ma, Permien), granites à biotite et granites à deux micas des Zaër (279-303 Ma, Carbonifère supérieur) ; cependant les granites hercyniens n’ont pas fourni jusqu’ici de roches ornementales de couleur très attrayante. Par contre des granites rouges précambriens seraient à prospecter dans le bouclier saharien, si ce n’était la distance et l’éloignement.

Mésozoïque
Dans le Lias de la bordure N du Haut Atlas, la petite carrière d’Azilal est en début d’exploitation, sur un replat très karstifié : c’est un calcaire à grain fin, compact, avec onchoïdes, lits de grosses gravelles, gros fragments de coquilles, et nombreux verriers.
La couleur est beige à vert clair, avec un niveau rose à rouge foncé de 0,7 m ; les bancs peuvent atteindre 2 m. L’exploitation se fait avec des moyens réduits, par forage et cordeau détonant (ce qui est dangereux dans un calcaire fragile). Selon la carte au 1/100000 (1982) il s’agit des calcaires sinémuriens d’Imi-n’Ifri qui forment une importante masse et présentent encore de larges possibilités.
La pierre de Boujad est un calcaire beige à jaune, d’âge Turonien (avec les ammonites Pseudaspidoceras et Vascoceras), appartenant à la série transgressive du Bassin des Phosphates. Outre une carrière ouverte à El Goufaf au NW de Oued Zem, des blocs ont été ramassés en surface autour de Boujad pour la construction de la Grande Mosquée ; les bancs ont une épaisseur limitée (0,8 m).
Dans le Sénonien d’Agadir, la carrière de Tarhazoute (au lieu-dit Agouni, 15 km au N d’Agadir) a produit une calcarénite beige-jaune, légèrement poreuse mais sonore ; des lentilles riches en fragments de coquilles dissoutes lui donnent un aspect de «travertin». On observe, sous une couverture de 12-15 m
d’argiles vertes à bancs calcaires, deux barres de calcarénites à stratification légèrement obliques, avec une surface supérieure couverte de ripple marks, et un pendage d’environ 15 ° vers le S : la masse supérieure a une épaisseur de 4 m, la barre inférieure, un peu moins épaisse, est lenticulaire (c’est un remplissage de chenal). Cette carrière d’assez grande taille pour le pays, a été exploitée par havage et sciage au câble diamanté, elle est actuellement inactive. De nombreuses fractures irrégulières affectent les masses et ont certainement limité la récupération. Les réserves sont faibles, car les gros bancs semblent disparaître à distance, et l’épaisseur de la couverture s’accroît vers le S.
Dans la région d’Ait Benhaddou au NW de Ouarzazate se trouve un calcaire coquillier rose brun, avec de nombreux stylolites en tous sens et des trous, ainsi qu’un calcaire à grain fin esquilleux, de couleur blanc cassé ; ces roches sont produites par Caronyx, nous n’avons pas vu ces carrières.

Tertiaire
Le calcaire Crème Saiss, produit par Promomarbre, provient d’une carrière au SE de Meknès : il s’agit d’un calcaire micritique beige clair, se polissant bien, d’aspect noduleux, avec un réseau de fissures à remplissage de calcite palissadique, rappelant certains travertins ; le remplissage étant parfois incomplet, un masticage est nécessaire. Selon la carte géologique, il s’agit de la formation des Calcaires lacustres du Saiss, attribués au Pliocène.
Le travertin de Taroudannt, appelé aussi Roudani, provient de la localité de Touraght à 25 km au S de la ville ; selon la carte au 100 000 de 1983, la carrière serait située sur une butte isolée de 400 x 600 m (cote 482), attribuée au Plio-Villafranchien. Elle a été intensément exploitée par GMS. pour la Grande Mosquée, par coupes horizontales à la haveuse, et par coupes verticales par forage ou sciage au câble. Elle est aujourd’hui arrêtée ; la carte n’indique aucun autre gisement de la sorte dans la région.

Quaternaire ancien
Les onyx calcaires de Ouarzazate étaient produits près de Skoura dans la vallée du Dadès en amont du barrage : la carrière d’Aguelmous se trouve à 26 km à l’ENE de Ouarzazate, celle d’Afra à 29,5 km. Les couches d’onyx reposent sur des sédiments continentaux de Pontien-Pliocène, et sont recouvertes par le Quaternaire ancien. Dans la carrière d’Afra qui devrait être réactivée prochainement par Caronyx, on observe un banc de 1,5 m d’onyx translucide de couleur ambrée, recouvert de calcaires gréseux conglomératiques ; 1,5 m plus haut un petit niveau d’onyx blanc et gris est clairement interstratifié dans des calcaires gréseux. L’exploitation a été faite sur une faible surface au câble diamanté.
A Aguelmous, la petite carrière exploitée jadis par des moyens rudimentaires, montre deux couches d’onyx blanc à gris (1,5 et 0,5 m) intercalés dans les calcaires gréseux conglomératiques. Dans le lit de l’oued voisin l’onyx apparaît en filons dans les conglomérats. Ce type de gisement est assez surprenant, car les onyx calcaires que nous avons observé jusqu’ici (Espagne, Crète) formaient des remplissages de cavernes : ici il devait s’agir de dépôt dans des dépressions lacustres, alimentées par des eaux venant de profondeur (filons observés dans l’oued).
Quoi qu’il en soit, l’onyx ambré d’Afra est une roche intéressante par sa couleur homogène et sa transparence, même si la fracturation limite les blocs à un volume de l’ordre du mètre cube.
D’autres onyx calcaires ont été signalés à Erfoud (radier de l’Oued Ziz), et dans le Lias de Ras el Ma près de Taza (Moyen Atlas).
Les «travertins» de Bouskoura proviennent de la banlieue Sud de Casablanca : les carrières se trouvent de part et d’autre de l’autoroute entre Sidi Messaoud et Bouskoura, au niveau de la station d’essence Somepi. Deux des carrières sont abandonnées : l’une était la carrière Liscia, l’autre montre sous 16 m de recouvrement 2,2 m de calcarénite jaune ocré, lumachellique, poreuse, à grandes coquilles dissoutes. La carrière Ismarbres semble la seule en activité, par découpage au câble diamanté sur une hauteur de 3,5 m : c’est une calcarénite grise à blanche, à grain plus fin, avec comme défauts des géodes et quelques lits de galets. Des blocs de 3-4 m3 sont produits, à peu près équarris, grâce à une fracturation modérée. Les réserves sont faibles, du fait de la trop grande proximité des faubourgs de Casablanca. Selon la carte au 1/100000 de 1987, ce niveau correspond aux calcarénites marines du Pliocène moyensupérieur, recouvertes de calcarénites dunaires du Quaternaire ancien.
Une calcarénite poreuse jaune ocré, de nature similaire, est extraite à Bir Jdid, 40 km au SW de Casablanca.
Signalons enfin pour l’amateur visitant le Maroc, l’intérêt des minéraux et des fossiles. Bien que beaucoup de mines soient maintenant fermées, les revendeurs proposent encore au long des routes de l’Atlas quelques beaux minéraux (aragonite, barytine, stibine, galène, azurite, vanadinite…). Parmi les fossiles, mentionnons les Trilobites du Maïder, excavés par de nombreux prospecteurs dans des tranchées (elles fournissent de bien meilleurs spécimens que les récoltes en surface), puis minutieusement dégagés.
Les dents de requins des phosphates, bien que leur vente ne soit pas admise par la Société Chérifienne des Phosphates, sont également dignes de collection. Ne parlons pas des blocs polis à Orthocères et Goniatites, provenant des chutes des carrières d’Erfoud : ils sont décoratifs, mais sans intérêt pour la paléontologie (la forme extérieure est détruite), ni des Ammonites de grande taille en provenance du grand Sud, dont les ornements sont en grande partie reconstitués par sculpture!. Au total, cette activité artisanale occupe des centaines de terrassiers, décapeurs et revendeurs.

Par Pierrer R.
Professeur/Chercheur Université de Canada

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