EnergieEnergies Renouvelables

Stratégie énergétique nationale : Interview avec M. Amin BENNOUNA

La question du plan solaire national acquiert une importance vitale dans la stratégie énergétique du Maroc. Et c’est en faisant foi des derniers rebondissements sur l’état d’avancement des projets en cours et la nouvelle loi sur l’auto consommation moyenne et basse tension que l’expert en énergies M. Amin BENNOUNA a bien voulu s’ouvrir à notre support et répondre à nos questions.

Energie & mines : La transition énergétique lancée en 2009 avait tablé sur 52 % de capacité en EnR dans le mix électrique national à l’horizon 2030. Quand est-il des réalisations effectives à nos jours pour concrétiser cet objectif ?

M. Amine Bennouna : Avant celui de 2030 à 52%, il y avait l’objectif d’étape à 42% en 2020 alors qu’en décembre nous n’en étions qu’à 34% comme on compte au Maroc (mais seulement 30% si l’on ne comptait pas la STEP d’Afourer qui turbine de l’eau qui peut avoir été pompée avec de l’électricité non renouvelable). Nous ne sommes donc pas à l’objectif d’étape de 42% en 2020 et le plus grand retard se situe dans la réalisation du Plan Solaire. Après avoir déjà annoncé publiquement le dimanche 12 janvier 2020 à Abou Dhabi que les 42% seraient atteints en 2021, Monsieur le Ministre de l’Energie a de nouveau affirmé le mardi 11 mai 2021 à Rabat que les 52% seraient atteints en 2026 !

Que l’on ne vienne pas nous dire, de façon ambiguë, qu’ils seront « lancés » aux dates indiquées car les seuls chiffres publiquement vérifiables sont ceux des capacités effectivement mises en service. Or, les centrales électriques devant être opérationnelles en 2026 et 2030 sont déjà identifiées, leurs délais de d’adjudication et de réalisation connus ainsi que notre éternelle aptitude à les retarder, je ne vois donc vraiment pas comment de tels chiffres seraient réalisables. Je pense que l’on serait mieux inspirés de s’atteler à mettre en place les moyens de réaliser les objectifs plutôt que de jouer verbalement avec des engagements royaux à l’égard du peuple marocain : ni jeux sur les mots, ni promesses électorales irréalisables.

Est ce que les experts marocains ont été consultés dans le cadre du choix des solutions préconisées pour le plan solaire marocain ?

– Je n’ai malheureusement pas de boule de cristal qui me permettrait de répondre avec certitude par un « non » mais Dieu sait que je connais beaucoup de monde dans le milieu marocain des experts en efficacité énergétique ou en énergies renouvelables (universitaires, consultants ou professionnels) et je peux affirmer sans hésiter qu’aucun des marocains que je connais n’a été consulté et que si l’un d’entre eux l’a été, il ne s’en est jamais vanté !

On sait maintenant que les choix technologiques de MASEN font subir aux caisses de l’État un déficit annuel colossal en déboursant plus de 1.35 Dh/kWh. Ajoutant à cela le coût de maintenance de ces installations qui vont devenir obsolètes et donc un fardeau supplémentaire. Comment on est arrivé a ce désastre ? Et quelles sont les solutions alternatives pour remédier à ce manque à gagner ?

– Vous faites sans doute allusion au choix des 511 MW de solaire thermodynamique qui représentent près de 9/10 de la puissance installée à Ouarzazate. D’abord, il faut tout de même modérer le concept de « cherté » de l’électricité thermodynamique de Ouarzazate par deux éléments : (1) une partie de l’électricité de Ouarzazate sert à répondre à la crête de puissance de 21 heures pour laquelle l’alternative est l’électricité produite par des turbines à gaz fonctionnant au fuel qui coûte plus 2 Dh/kWh ; ensuite, (2) l’électricité éolienne du Parc de Koudia Al Bayda paraissait elle aussi très chère au début de son exploitation en 2000 et 1.50 Dh/kWh pourra peut-être paraître raisonnable entre 2030 et 2040.

Ensuite, il faut rappeler une vérité historique : le choix du solaire thermodynamique était antérieur même à la création de MASEN, ce qui nous ramène à la méconnaissance des experts qui ont orienté le Maroc vers ce choix. Pourtant, on ne peut pas dire « que celui qui nous a orienté ne pouvait pas savoir à l’époque » car les fortes baisses de coûts de l’énergie solaire photovoltaïque issues de ses courbes d’apprentissage établies sur trois décades étaient déjà beaucoup plus prometteuses que les modestes réductions de coûts de l’énergie solaire thermodynamique prévues dans les rapports de retour d’expérience des centrales solaires thermodynamiques de Kramer Junction des Etats-Unis : les experts qui nous ont orienté vers ce choix l’ont fait en toute connaissance de cause et avaient d’autres arguments (ou intérêts ?) que les coûts.

Quand on cherche du côté des mobiles, on découvre que le centre de dispatching de l’O.N.E.E. avait largement plus intérêt à favoriser les solutions avec stockage (telles que celles de Ouarzazate) plutôt que d’avoir à gérer la production intermittente de centrales au fil du soleil ou au fil du vent. Or, si on avait fait le nécessaire pour que les 350 MW de la STEP de Abdelmoumen soient mis en service dans les délais initialement prévus (2022 au lieu de 2014 prévu en 2008 !), on n’aurait pas eu besoin d’autant de stockage à Ouarzazate et cette nouvelle STEP de Abdelmoumen aurait pu aussi servir à gérer une partie de l’intermittence éolienne, chose que Ouarzazate ne permet pas. Même sans cette STEP, si l’on avait pu se remuer pour mettre en service plus tôt les 1’050 MW d’éolien du PMIEE, MASEN aurait eu quelque 3’000 GWh annuels d’électricité concessionnelle éolienne acquise à très bon prix (0.37 Dh/kWh) pour faire une péréquation des 1’050 GWh/an d’électricité solaire thermodynamique, prétendument « chère« , produite à Ouarzazate (à près de 1.45 Dh/kWh en moyenne).

J’ai toujours dit que le plus grand ennemi du Maroc est le calendrier et l’on ne peut que constater que c’est, encore une fois, un problème d’ordonnancement qui est à l’origine de tout ça ! Chaque fois que l’on a retardé la mise en service d’un équipement électrique du pays, il semble que l’on se soit retranché derrière les contraintes légales ou réglementaires sans vraiment se soucier de la gravité de l’impact du retard, ni sur la durée de réalisation des objectifs de la Stratégie Energétique, ni sur les coûts de celle-ci. L’électricité solaire issue de NOOR Midelt, qui ne coûtera que 0.67 Dh/kWh, a failli elle aussi nous coûter très cher si on ne l’avait pas, in extremis, très fortement hybridé avec une grande part solaire photovoltaïque au détriment de la part solaire thermodynamique.

Le nouveau projet de loi sur l’autoconsommation moyenne et basse tension restreint l’autoproduction de l’énergie au strict besoin du client, sinon le client s’expose à des amendes et même à l’emprisonnement (Article 25). Le gouvernement avance que c’est pour la stabilité du réseau. Est ce que ce prétexte peut justifier ce blocage ?

– Non, la stabilité du réseau ne le justifie pas : la limitation de l’autoproduction d’électricité au strict besoin du client n’est qu’un prétexte démenti par toutes les expériences d’injection réseau de tous les pays développés. Qu’ils aient aujourd’hui moins de demandes de particuliers pour des installations solaires injectant dans les réseaux de ces pays n’est dû qu’à la baisse des tarifs de rachat et nullement à une prétendue limitation pour stabilité du réseau. Cette dernière ne peut donc nullement justifier la limitation de production au strict besoin du client. Quant au support physique, un câble réseau qui est capable de fournir une puissance électrique souscrite donnée vers le consommateur est à même de véhiculer la même puissance dans le sens inverse.

Par ailleurs, grâce au foisonnement et à la dispersion géographique, la stabilité du réseau est bien plus facile à assurer avec 100’000 installations dispersées de 5.82 kW chacune qu’avec une centrale unique de même puissance (582 MW) telle que celle de Ouarzazate. Enfin, les distributeurs d’électricité ont été tellement obnubilés par la maladroite défense de leurs intérêts à court terme qu’ils en ont oublié l’importante question de la qualité de l’électricité injectée dans le réseau.

Dans le cadre de l’orientation du Maroc pour augmenter la part des EnR dans le mix énergétique, pensez-vous que ce projet de loi va dans ce sens ?

– Effectivement, il est tout à fait légitime de rappeler ce qu’on attend d’une Loi qui est en projet. La Note Introductive de l’avant-Projet de Loi annonce clairement la couleur puisqu’elle dit que la Loi vise « à réglementer l’activité d’autoproduction d’énergie électrique à des fins d’autoconsommation » et, par contre, elle ne dit nulle part que l’avant-projet de Loi accompagne l’augmentation de la part des EnR dans le mix énergétique. Si l’on y ajoute le fait que le contenu de cet avant-Projet de Loi est entièrement dissuasif sans contenir aucun élément incitatif, alors la réponse à la question est donc clairement : « non ».

On sait que plus de 70 % de l’énergie consommée par les foyers se fait le soir. Mais ce Projet de Loi ne permet d’échanger que 10 % au maximum. Même chose pour les industriels, qui sont handicapés par la contrainte de capacité d’accès aux réseaux. Dans le cas où le projet de loi passe sous cette mouture, existe-t-il des solutions techniques pour éviter aux consommateurs de tomber dans l’infraction ?

– L’Article 20 de l’avant-projet de Loi autorise l’injection dans « dans la limite de 10% de la production annuelle de l’installation d’autoproduction » alors que son Article 18 stipule que « le compteur intelligent doit être installé, avant l’installation d’autoproduction ». Il suffit de faire un schéma conforme à l’Article 18 pour se rendre compte que ledit compteur mesure bien séparément l’énergie entrante et sortante chez le consommateur mais n’a pas accès à ladite production de l’Article 18, donc que 10% de quelque chose d’indéfini reste indéfini et qu’une Loi ne peut être basée sur de telles erreurs. Les onduleurs les plus récents produisent non seulement une électricité de qualité irréprochable mais permettent, en plus, de limiter l’injection par simple programmation via une appli sur smartphone. Donc, même si l’on venait à trouver une autre mouture gardant la volonté de limitation actuelle, alors « oui », il existe des solutions techniques pour éviter aux consommateurs de tomber dans l’infraction puisque la limite d’injection peut même descendre à zéro.

Tant que nous sommes dans ces aspects, permettez que je cite ce qui me semble une porte ouverte à la corruption des agents du distributeur par l’Article 11 qui stipule que celui-ci, avoir réservé « les capacités requises… » (définition ?), « étudie les autorisations ou demandes de raccordement selon l’ordre de priorité spécifié en fonction de la date et de l’heure de réception de la demande d’autorisation ou de raccordement »… que ceux qui ne voient pas la mauvaise porte ouverte lèvent le doigt !

Voyez-vous des solutions financières pour pouvoir compenser les manques à gagner des distributeurs ? Pourquoi cet avant-Projet de Loi tend-il à ménager les marges bénéficiaires des distributeurs aux dépens des citoyens ?

– Des solutions financières pour les distributeurs ? – Bien sûr qu’il y en a mais encore faut-il vouloir les voir ou y réfléchir ! D’abord, il y a de facto le différentiel de coût d’achat à l’O.N.E.E. (0.88 Dh/kWh aux heures « pleines » du jour) et celui des excédents rachetés aux autoproducteurs, par exemple indexé à 70% du tarif d’achat à l’O.N.E.E., soit 0.62 Dh/kWh, qui, par exemple, économiserait aujourd’hui 0.26 Dh/kWh excédentaire revendu. Ensuite, un complément pourrait être financé par la même méthode qui a permis à l’Allemagne de financer son programme de feed-in-tariffs, par une très petite augmentation des prix de vente de l’électricité l’année suivante du constat des installations solaires réalisées (une étude de la GIZ a été spécifiquement faite pour le Maroc et pourrait être révisée). Ledit complément pourrait, par exemple, être indexé à 35% du tarif d’achat à l’O.N.E.E. soit 0.30 Dh/kWh excédentaire revendu aujourd’hui. Et qu’on ne nous dise pas que la multiplicité des opérateurs complique la chose au Maroc puisque cela s’est fait en Allemagne et que la privatisation fait qu’elle a plus de 900 opérateurs de production et distribution d’électricité sur le terrain !

La mouture actuelle de cet avant-Projet de Loi franchement dissuasif ne va pas seulement à l’encontre des intérêts des citoyens mais va aussi au détriment de l’environnement global et de l’indépendance énergétique du Maroc : il a certainement rédigé sous la pression du lobby des distributeurs sans même avoir consulté les citoyens. D’ailleurs sa propre Note Introductive annonce « une approche participative » limitée au « Ministère de l’Intérieur, l’O.N.E.E., M.A.S.E.N., l’A.N.R.E. et la C.G.E.M. » à l’égard de laquelle cette « approche participative » s’est limitée au simple envoi d’un questionnaire qu’il m’a été permis de voir et que l’on y a donné une fin de non-recevoir parfois même mal motivée à tous les amendements ou aux commentaires négatifs. J’ai déjà dit dans la presse que les distributeurs marocains essayent depuis des années de différer l’inéluctable en essayant de « passer en force » chaque fois que cela leur a été possible : d’abord en 2009 en interdisant l’injection sur la BT dans la LER 13/09 puis aujourd’hui avec cet avant-Projet de Loi unique en son genre de dissuasion à l’encontre des énergies renouvelables.

Aujourd’hui obsolète, la dissuasion est devenue inefficace puis qu’on peut ne rien injecter sur le réseau et amortir une installation en 5 à 6 ans tout en ne consommant que 50% de l’énergie solaire qu’on pourrait produire. Par ailleurs, les consommateurs, que les distributeurs cherchent à brider aujourd’hui, n’ont aucun intérêt dans la faillite de leurs fournisseurs et ceux-ci doivent sereinement se préparer à un futur où la distribution d’électricité perdra sa forme hiérarchique et centralisée d’aujourd’hui.

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