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Mix Électrique Marocain : Défis face à l’Urgence Climatique
Pour décarbonner plus vite nos modes de vie, le développement des énergies renouvelables est indispensable. Or, le développement rapide de la production d’électricité renouvelable via le solaire ou les éoliennes, introduit plus d’intermittence ou d’irrégularités dans la courbe de production électrique. Un problème réel qui limite le développement efficace de ces énergies dans le mix électrique, contrairement à la production fossile ou nucléaire qui permettent de ne jamais en théorie souffrir de coupures en cas de pics de consommation.
Voyons d’abord combien de puissance électrique le Maroc a besoin. En moyenne, c’est 6710 MW (pointe maximale en 2021) [1]. Mais cette moyenne cache de grandes variations. Par exemple, la demande a tendance à s’élever l’été. S’il faut autant d’électricité en été [2], c’est pour une raison principale : la climatisation (car pour chaque degré de plus au thermomètre, il faut une puissance en plus). En plus, en hiver, les journées raccourcissent ce qui pousse à consommer davantage pour l’éclairage [2]. La présence de nuages augmente également le taux d’éclairage, et de ce fait la quantité d’électricité consommée.
De plus, cette moyenne cache des pics intra-journaliers et hebdomadaires plus élevés. En effet, la demande varie d’un jour à l’autre, mais aussi d’une heure à l’autre. Elle est plus élevée en semaine le matin et le soir quand les gens sont chez eux [2]. Par exemple, les vacances et la fermeture des entreprises occasionnent une baisse significative de la demande en électricité. La consommation d’électricité est également ralentie le week-end, où la plupart des entreprises ferment.
Les changements d’heures, à la mi-saison, visent à remplacer l’électricité par la chaleur et la luminosité du soleil. Instauré en France en 1976 en pleine crise pétrolière, le passage d’heure d’été à l’heure d’hiver (et inversement) avait pour objectif d’ajuster les heures d’activités aux heures d’ensoleillement et permette une réduction de la consommation d’énergie.
Le passage à l’heure d’été supprime donc le pic de consommation de 19 h, observé quotidiennement [2] particulièrement pendant la période hivernale et permet de diminuer les dépenses énergétiques.
Une tarification basée sur les heures pleines et basse consommation incite les ménages à limiter leurs consommations énergétiques. De même, les contrats commerciaux conclus avec les entreprises invitent à modifier les comportements.
En plus des variations météorologiques, de l’activité économique et des changements d’heures, et des tarifs préférentiels comme incitations contractuelles, les changements induits par les événements occasionnels, notamment le Ramadan, bouleversent également la consommation d’électricité. Leur caractère exceptionnel rend toute prévision impossible.
Et c’est ces pics de courant qu’il faut surmonter pour éviter les coupures de courant. Alors, sommes-nous capables de fournir cette puissance ?
Au Maroc, en 2021, on produit de l’électricité avec beaucoup d’énergies fossiles (6901 MW [1], Soit 4641 MW provenant des centrales thermiques vapeur, 4116 MW du charbon, 1110 MW des centrales turbines à gaz, 834 MW des cycles combinés, 525 MW du fioul, 316 MW des centrales thermiques Diesel) mais aussi avec de l’hydraulique (1770 MW, soit 1306 provient des usines hydrauliques), de l’éolien (1466 MW) et dans une moindre mesure du solaire (831 MW). Au total, ce sont ~11 GW (10 968 MW) [1] de puissance, dont 3950 MW provient du renouvelable (soit 37% dans la puissance totale installée [3]). Ce qui semble largement suffisant pour affronter des pics de consommation qui peuvent atteindre 6710 MW (pointe maximale mentionnée au-dessus). Sauf que ça, c’est la puissance installée. En réalité, tout ne fonctionne pas en plein régime toute l’année. Il y a une différence significative entre la puissance installée et la puissance effectivement disponible. Il y a d’abord le problème de quelques centrales qu’il faut arrêter pour les entretenir, notamment les centrales CSP « Concentrated Solar Power ». Vient ensuite la question de l’électricité hydraulique qui assure 16.57% de la puissance installée [3]. Une partie de ces installations dépendent des débits des cours d’eau, alors que d’autres dépendent des lacs et sont donc sensibles aux sécheresses [4, 5]. Les stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage—stockent de l’eau et prête à être relâchés pour produire de l’électricité en cas de fortes demandes—fournissent 464 MW [1]. Et puis vient les sources d’électricité intermittentes avec d’abord les éoliennes (13.4 % de la puissance installée [3]) mais cette production est très variable. Le solaire quant à lui (qui couvre 7.03% % de la puissance installée [3]) ne fournit pas d’électricité la nuit et comme à l’hiver, les journées sont plus courtes et moins ensoleillées, sa production est réduite. Cependant, les matériaux dont dépendent ces technologies de production et de stockage, pour réduire leurs fluctuations, sont en pénurie et risque de freiner la transition énergétique. Nous passons d’un monde intensif en hydrocarbures à un monde intensif en matériaux.
Il y a les productions fossiles qui sont dépendantes de l’approvisionnement en matières premières (charbon, fioul, gaz). Or, avec la guerre en Ukraine, l’approvisionnement en gaz est sous tension. Son utilisation pourrait donc être restreinte.
Enfin, le Maroc importe aussi de l’électricité depuis d’autres pays voisins, notamment l’Espagne et l’Algérie [1]. Mais, cette option est incertaine, elle dépend de la disponibilité des ressources chez nos voisins au moment de pic national.
Depuis des années, on sait que résoudre le défi du stockage de cette électricité est une condition indispensable pour aller vers un mix énergétique plus résilient au climat. Bien sûr, on pense d’abord au stockage sur batteries, mais celui-ci est pour l’instant trop coûteux et inadapté à un développement de masse en raison, entre autres, des matières premières requises.
Du coup plusieurs directions doivent être explorées, notamment la diversification des options pour avancer vers une
transition énergétique résiliente au climat [2].
Références
[1] Office National de l’Electricité et de l’Eau Potable (ONEE). http://www.one.org.ma/
Ayat-Allah Bouramdane (PhD)
Ingénieure-chercheure dans le domaine des énergies renouvelables, flexibilité d’énergie (ex., stockage) et variabilité/changement climatique.