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Minéraux de la Transition Énergétique : Criticité Géologique, Géostratégique et Environnementale
L’enjeu principal de la prochaine décennie est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre en mobilisant, d’une part, des énergies bas-carbone et en améliorant, d’autre part, l’efficacité énergétique de nos économies dans le but de faire autant avec moins d’énergie [1, 2]. Mais, lorsqu’il est question d’énergies renouvelables, de stockage par batterie, de piles à combustion pour l’hydrogène, de véhicules électriques, ou d’expansion des réseaux électriques, il est souvent question de minéraux.
En dépit que ces moyens de transition énergétique n’utilisent pas d’énergie fossile pour fonctionner, leurs constructions nécessitent tout de même de ressources finies, ce qui nous interroge sur la disponibilité de ces ressources sur le long terme, principalement en période d’instabilité politique.
Par ailleurs, la forte hausse des prix des matières premières observée récemment a mis en évidence le caractère limité de ces ressources [3, 4].
Tout d’abord, il est important de classifier les métaux dont il est question. Il existe plusieurs catégories : les métaux précieux (ex., or, argent, etc.), les métaux rares (ex., cuivre, cobalt, lithium, nickel, etc.), et les métaux de base (ex., fer, aluminium, zinc, etc.). Ces métaux ne sont pas équivalents en termes d’abondance sur terre. Il ne faut pas confondre « métaux rares » et « terres rares ». En effet, les terres rares sont ainsi nommées car il s’agit d’un ensemble de métaux qui lorsqu’ils furent découverts, étaient difficiles à extraire. Cependant, ils sont présents en abondance, de manière homogène sur la surface planétaire.
Les métaux rares peuvent être jugés « critiques ». En effet, la notion de criticité n’est pas universelle. La criticité d’une matière première peut varier d’un pays à l’autre car elle se rapporte en réalité à quatre niveaux de risque, autrement dit quatre types de criticité : géologique (la multitude des usages fait craindre des pénuries), géostratégique (lorsque le risque pèse sur la chaîne d’approvisionnement, soit parce que ces métaux sont concentrés géographiquement, leur production ou leur transformation se limitant actuellement à une poignée de pays dans le monde, soit parce que la stabilité politique des pays fournisseurs est limitée, alors qu’ils
présentent un intérêt économique ou industriel fort pour les pays demandeurs), et environnementale (lorsque la chaîne d’approvisionnement induit des dommages environnementaux, tels que la génération d’émissions polluantes, ou encore consomme de grandes quantités d’énergie ou d’eau) [5].
L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) [6] a publié une analyse approfondie du sujet dans un rapport intitulé « The Role of Critical Minerals in Energy Transition » (Le Rôle des Minéraux Critiques dans les Transitions Énergétiques). Ce rapport a pour objectif d’exposer le lien entre les technologies de la transition énergétique et les minéraux, d’évaluer et de comparer les besoins pour différentes technologies et différents scénarios, et d’en identifier les conséquences.
Les scénarios établis par l’AIE se basent sur les projections correspondantes de déploiement des technologies de transition énergétique :
• Le scénario STEPS (Stated Policies Scenario, « Scénario Politiques Annoncées ») correspondant à la mise en oeuvre des politiques annoncées par les gouvernements, contenues notamment dans les Contributions Déterminées au niveau National (CDN), qui ne permet pas encore d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.
• Le scénario SDS (Sustainable Development Scenario, « Scénario Développement Durable ») permet quant à lui d’atteindre les objectifs climatiques fixés à l’Accord de paris, à savoir une élévation de la température moyenne du globe bien au-dessous de 2°C, en visant 1.5°C. Il s’inscrit dans la perspective de zéro émission nette à l’horizon 2050. Ce scénario est donc nettement plus consommateur de minéraux.
Les technologies énergétiques couvertes par l’étude sont principalement celles déployées dans le SDS. Il s’agit notamment du solaire (Photovoltaïque « PV » et à concentration « CSP »), de l’éolien (onshore et offshore), du nucléaire, de l’hydroélectrique, de la géothermique, de la biomasse, des véhicules électriques et des batteries, des piles à combustion pour l’hydrogène, mais également des réseaux électriques.
Une attention particulière est portée aux métaux rares (cuivre, cobalt, lithium, nickel) et aux terres rares.
Criticité Géologique :
Au cours de la dernière décennie, l’augmentation de la consommation des minéraux en question dans la production d’électricité est déjà visible (Figure 1) : de 2010 à aujourd’hui, la quantité moyenne de minéraux requise pour une unité de capacité de production d’électricité installée a augmenté de 50% en raison de la croissance des énergies renouvelables. On assiste ainsi progressivement à un basculement d’un système énergétique à forte intensité d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) vers un système énergétique à forte intensité de minéraux. Ce changement de paradigme énergétique devra s’accélérer si l’on veut atteindre les objectifs climatiques visés.
Le rapport [6] donne un aperçu de l’évolution de la demande par scénario (Figure 2). Une multiplication par deux (resp. quatre) pour le STEPS (resp. SDS) entre 2020 et 2040.
Les véhicules électriques et les batteries de stockage de l’énergie compteront pour plus de 80% de la demande, devenant les forcesmotrices de cette demande. Pour ce qui est de la production d’électricité, le solaire et l’éolien sont en tête, avec des contributions mineures des autres technologies considérées.
Comme le montre la figure 3, une voiture électrique typique nécessite six fois plus de minéraux différents dans sa fabrication qu’une voiture conventionnelle. Il en va de même lorsqu’on compare une production renouvelable (éolien offshore ou onshore, solaire PV) à une centrale nucléaire ou fossile (charbon, gaz naturel). Il faut noter que cette comparaison d’intensités de matières données par unité de capacité installée et non par unité d’énergie produite. Cela permet d’éviter les variations liées à l’hétérogénéité des sites où sont implantées les technologies renouvelables, et donc de comparer les technologies dans l’absolu. En d’autres termes, le caractère intermittent des énergies éoliennes et solaires n’est pas pris en compte. On peut également voir que le cuivre est un élément essentiel d’un système électrique, et donc pourrait être le métal le plus contraint dans la dynamique de transition énergétique.
Voir la Figure 4 pour plus de détails sur les besoins en minéraux des autres technologies considérées.
Dans un contexte de raréfaction des ressources minérales, des réglementations doivent être mises en place pour imposer aux concepteurs des technologies nouvelles d’intégrer dès la phase de développement l’enjeu du recyclage.
Criticité Géostratégique :
Ce basculement de paradigme énergétique fait apparaître de nouvelles forces et dynamiques de marché, de nouveaux pays et de nouvelles considérations géopolitiques.
Le rapport de l’AIE [6] montre que la production des minéraux de transition est particulièrement concentrée géographiquement, bien plus que le pétrole et le gaz naturel. La République Démocratique du Congo (RDC) produit plus de 70% du cobalt consommé dans le monde, la Chine plus de 60% de graphite et de terres rares, l’Australie plus de 50% de lithium, et l’Afrique du Sud plus de 70% de platine (Figure 5).
Les ressources minières ne sont donc pas homogènes dans leur répartition à travers le monde. L’un des exemples les plus évidents de ce risque est la RDC. En effet, ce pays est en proie à l’instabilité politique depuis de nombreuses années. Cette instabilité politique conduit à une exploitation dangereuse de ce minerai. Le cobalt présente donc un niveau de criticité géologique et géopolitique élevée.
La guerre qui se déroule actuellement en Europe met en lumière la relation étroite entre les ressources et la géopolitique. En effet, aujourd’hui la Russie fait partie des acteurs principaux de la production de certains métaux (Figure 5). Il est tout à fait probable d’assister à une réduction des exportations de ce pays dans les semaines/mois à venir.
Le rapport [6] relève également que le niveau de concentration est tout aussi élevé pour les opérations de transformation, avec une présence significative de la Chine (Figure 6), accentuant encore plus, pour beaucoup d’acteurs, ladite criticité de ces minéraux. Le cas des terres rares pour les lesquelles la part de la Chine dépasse les 90% est symptomatique de ce point de vue. Un acteur qui ne dispose pas forcément de ressources importantes (Figure 5), mais maîtrise une technologie d’extraction ou de raffinement (Figure 6).
Pour voir la concentration des concurrents sur un marché, nous pouvons utiliser l’indice de Herfindahl-Hirschmann (HHI). Il est intéressant de voir cet indice sur d’une part les réserves, puis d’autre part la production. On constate donc que le lithium, le cobalt et les terres rares sont des marchés hyper-concentrés (Figure 7).
Criticité Environnementale : Vulnérabilité Face aux Risques Climatiques
La question des matériaux utilisés pour produire les technologies bas-carbone est largement discutée. Néanmoins, celle de la consommation en eau nécessaire à l’extraction des minéraux et la fabrication des technologies de transition énergétique est beaucoup moins abordées. Dans un monde de plus en plus contraint par la ressource hydrique, cet enjeu va pourtant devenir incontournable.
En effet, bon nombre des minéraux étudiés sont extraits, produits ou transformés dans des pays où la pression sur la ressource en eau est déjà élevée (Figure 8). Certaines zones se retrouvent ainsi en état de fort stress hydrique, augmentant des conflits d’usages croissants entre l’agriculture, l’industrie et la population, voire des tensions au niveau international.
Les vagues de chaleur ou les inondations [7, 8] constituent des risques environnementaux à considérer dans l’analyse des vulnérabilités des systèmes de production des minéraux critiques car ils sont susceptibles d’entraver un approvisionnement adéquat en minéraux critiques et d’entraîner une plus grande volatilité des prix.
Les projets de dessalement de l’eau de mer et des eaux saumâtres permettent de sécuriser l’alimentation en eau potable, mais aussi de fournir de l’eau dessalée pour servir aux besoins industriels ou d’irrigation. Cependant, cette option, déjà mise en œuvre à petite échelle dans certains pays, s’avère coûteuse et énergivore [9].
Références
[1] Ayat-Allah Bouramdane, « Pourquoi l’Atténuation et l’Adaptation aux Changements Climatiques sont Complémentaires?« , Énergie/mines &
carrières, 10 Novembre (2022)
[2] Ayat-Allah Bouramdane, « Mix Électrique Marocain : Défis Face à l’Urgence Climatique« , Énergie/mines & carrières, 26 Décembre (2022),
[3] Wales, Marion. “Les Minéraux de la Transition Énergétique Sous Tension.” Revue Générale Nucléaire (2021).
[4] Reboredo, Juan Carlos and Andrea Ugolini. “Price Spillovers Between Rare Earth Stocks and Financial Markets.” Resources Policy 66 (2020):
101647.
[5] Mormont François et al. (2016) L’Approvisionnement en Métaux, Menace pour les ENRs ? La Question des Réserves, de l’Énergie de Production
et de la Criticité
[6] IEA (2021), The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions, IEA, Paris, License: CC BY 4.0
[7] Ayat-Allah Bouramdane, « Chaleur Caniculaire, Incendies Gigantesques à Répétition: Des Signes du Changement Climatique?« , Énergie/mines &
carrières, 02 Août (2022)
[8] Bouramdane, Ayat-Allah. Assessment of CMIP6 Multi-Model Projections Worldwide: Which Regions Are Getting Warmer and Are Going
through a Drought in Africa and Morocco? What Changes from CMIP5 to CMIP6? Sustainability 2022, 15, 690.
[9] Curto, Domenico et al. “A Review of the Water Desalination Technologies.” Applied Sciences (2021).
Ayat-Allah Bouramdane (PhD)
Ingénieure chercheuse dans le domaine des énergies renouvelables, flexibilité d’énergie (ex., stockage) et variabilité/changement climatique.