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Agrivoltaïque, de quoi parle-t-on au juste ?

Les énergies renouvelables et l’agriculture sont, plus que jamais, des sujets d’actualité au Maroc. Aujourd’hui, les ambitions sur le solaire et l’agriculture sont fortes, comme en témoignent le Plan Solaire Marocain (qui fait la part belle au photovoltaïque, PV) [1] et le Plan Maroc Vert [2].

De plus, depuis quelques années émerge la volonté d’associer, sur un même site, une production agricole et, de manière secondaire, une production d’électricité par des modules solaires photovoltaïques. Les néologismes pour désigner cette pratique récente ne manquent pas : certains parlent d’agrisolaire, de solar sharing, d’agrinergie, ou tout simplement d’agrivoltaïque.

Dans ce cadre, l’agrivoltaïque suscite beaucoup d’intérêt chez les énergéticiens mais aussi des questions. Des études [3,4,5] soulignent les avantages multiples et spectaculaires que peut apporter, parfois, la présence de panneaux photovoltaïques sur une parcelle cultivée, en la protégeant contre les aléas climatiques* et en améliorant les conditions de culture, notamment dans les régions sèches, en apportant de l’ombre ou en limitant l’évapotranspiration et donc les besoins en eau ou d’irrigation. En effet, les panneaux photovoltaïques offrent un ombrage bénéfique à la plante qui souffrira moins des pics de chaleur et de stress hydrique, et permettra ainsi de s’adapter à la faible qualité et quantité de l’eau des nappes phréatiques et de compenser la baisse de rendement.

Ces avantages pourraient intéresser les agriculteurs qui pourront vivre de leurs productions agricoles et des gains potentiels de la revente d’électricité, surtout dans le contexte global de réchauffement climatique.

En outre, il n’y a pas de conflit d’usage des terres car les champs deviennent hybrides : ils produisent de la nourriture et de l’électricité simultanément tout en préservant la surface agricole utile et tout en permettant aux engins agricoles de se déplacer sous les panneaux solaires. Ça permet d’éviter les abus, car certains exploitants pourraient être tentés de couvrir leurs champs de panneaux solaires pour accroître leurs revenus au détriment des productions agricoles.

L’agriculteur peut également utiliser la muraille solaire comme clôture délimitant ses différentes parcelles. Une installation d’autant plus intéressante qu’elle lui permet de générer des revenus même lorsque ses terrains sont en jachère.

C’est une solution intéressante également pour l’élevage étant donné que sous les panneaux, qui retiennent l’évapotranspiration des plantes, les végétaux sont plus verts et mieux développés qu’entre les rangées, ce qui participe à la protection de la biodiversité et à la reconstitution de certaines espèces en voie de disparition [5].

Compte tenu de la proximité entre les exploitations agricoles et les autoroutes à certains endroits, l’installation de parcs agrivoltaïques pour alimenter des stations de recharge des véhicules électriques permettrait de réduire à la fois les émissions de CO2 et l’anxiété liée à l’autonomie (i.e., l’inquiétude des conducteurs face au risque de ne pas trouver de station de recharge à temps) [6]. Il s’agit d’ailleurs de l’un des principaux freins à l’achat des véhicules électriques. Cela peut être utile dans les zones rurales et isolées.

Néanmoins, l’agrivoltaïque ne s’adapte pas à toutes les plantations et les résultats des projets sont hétérogènes et difficilement comparables car ils dépendent de nombreux facteurs. Dans certains cas, la diminution de l’exposition des plantes au soleil et la réduction du contact de la culture avec l’eau de pluie pourraient donner des résultats négatifs. C’est pourquoi le succès de la technique repose sur un équilibre intelligent entre ensoleillement, mise à l’ombre et arrosage. L’intelligence artificielle permet de paramétrer sur mesure l’inclinaison des panneaux en fonction des besoins de la plante (en soleil et en eau), de la nature du sol et des conditions météorologiques [7].

Gardons aussi en mémoire que le rendement des installations PV peut varier selon la technologie et l’orientation utilisée [8]. Les panneaux photovoltaïques avec du tracking, par exemple, peuvent produire davantage de l’électricité lors des pointes de consommation** et contribuer ainsi à stabiliser les réseaux. Au Maroc, les pics de demande quotidienne interviennent principalement en fin de journée et en été [8] lorsque l’utilisation des appareils électroménagers est la plus importante et que l’éclairage des bâtiments ainsi que les appareils de climatisation sont allumés. Une pointe journalière un peu moins marquée se produit également le matin, pour les mêmes raisons [8].

Pour maintenir le réseau en équilibre, les gestionnaires font alors intervenir des centrales électriques « de pointe », capables de démarrer rapidement. Ce sont en général des turbines à gaz ou des centrales hydroélectriques (quand celles-ci sont disponibles) ou s’appuyer sur des batteries (chargées en journée, qui coûtent cher et ont une durée de vie limitée) ou sur du stockage thermique moins onéreux mais combiné à une technologie coûteuse qui le Concentrated Solar Power (CSP) [8, 9,10, 11, 12].

Malheureusement, les centrales photovoltaïques classiques, inclinées avec un angle égal à la latitude (~30 degrés au Maroc) sur l’horizontale et orientées en général vers le sud, ont un profil de production électrique journalière et saisonnière inversé par rapport aux besoins quotidiens et saisonniers [8]. C’est au milieu de la journée qu’elles injectent le plus d’énergie alors que le matin et le soir, elles en produisent peu. Et c’est en hiver qu’elles sont les plus productives (due à l’angle d’incidence élevé en été [8]) alors, qu’au Maroc, la consommation est la plus forte en été, en raison de la forte consommation des climatiseurs. Une caractéristique qui pourrait aggraver encore le risque d’inadéquation production-demande [8].

Une autre disposition qui permettrait d’offrir une production plus étalée au cours de la journée est l’installation des panneaux photovoltaïques bifaciaux verticaux [13] qui captent les rayonnements directs et indirects à travers leurs deux faces. Au zénith, les panneaux continuent à produire, notamment grâce à la lumière réfléchie par le sol. Cette disposition est en effet optimisée pour exploiter au mieux le rayonnement lors des levers et couchers de soleil, à des horaires où la consommation nationale est la plus forte.

Pour conclure, aucun pays ne sera épargné par les phénomènes climatiques extrêmes (notamment les sécheresses et ses effets dévastateurs sur l’agriculture et la production et demande d’énergie), dont la fréquence risque d’augmenter [14, 15]. C’est pourquoi le besoin est grand de développer dès aujourd’hui des solutions qui apportent des réponses efficaces aux problématiques actuelles.

Les projets agrivoltaïques apportent une réponse efficace à la pression foncière et aux phénomènes climatiques extrêmes auxquels de plus en plus d’agriculteurs sont confrontés. Néanmoins, face aux ambiguïtés liées aux aspects techniques et économiques, il faut tenter d’apporter des outils aux parties prenantes pour identifier la pertinence de tout type de projets photovoltaïques sur terrains agricoles (i.e., un état de l’art de ces installations, un recueil de retours d’expériences et un guide de classification de ces projets, etc) et améliorer l’information à l’égard des exploitants pour les inciter à se lancer dans ces projets innovants et prendre part ainsi à la transition énergétique.

Notes
* : Un orage violent, une chute de grêle ou une canicule peuvent ravager en quelques minutes des mois de travail et ruiner un agriculteur.
** : Les pointes de consommation électriques sont les moments de la journée, ou de la saison, pendant lesquels la consommation d’électricité est la plus forte et lorsque l’électricité peut être vendue à meilleur prix. Elles doivent être maîtrisées pour éviter le déséquilibre des réseaux. En clair, leurs gestionnaires doivent y injecter plus d’électricité que pendant les autres heures de la journée.

Références
[1] Renewable Energy Solutions for the Mediterranean & Africa (RES4MED&Africa). Country Profile Morocco 2018. Disponible en ligne : (consulté le 5 Septembre 2022).
[2] Ministère de l’Agriculture, de la Pêche Maritime, du Développement Rural et des Eaux et Forêts. Le Plan Maroc Vert: Bilan et Impacts 2008 – 2018. Disponible en ligne: (consulté le 5 Septembre 2022).
[3] Adeh, E.H., Good, S.P., Calaf, M., & Higgins, C. (2019). Solar PV Power Potential is Greatest Over Croplands. Scientific Reports, 9.
[4] Zainol Abidin, M.A., Mahyuddin, M.N., & Mohd Zainuri, M.A. (2021). Solar Photovoltaic Architecture and Agronomic Management in Agrivoltaic System: A Review. Sustainability.
[5] Toledo, C.E., & Scognamiglio, A. (2021). Agrivoltaic Systems Design and Assessment: A Critical Review, and a Descriptive Model towards a Sustainable Landscape Vision (Three-Dimensional Agrivoltaic Patterns). Sustainability.
[6] Steadman, C.L., & Higgins, C. (2022). Agrivoltaic systems have the potential to meet energy demands of electric vehicles in rural Oregon, US. Scientific Reports, 12.
[7] Zohdi, T.I. (2021). A digital-twin and machine-learning framework for the design of multiobjective agrophotovoltaic solar farms. Computational Mechanics, 1-14.
[8] Ayat-Allah Bouramdane. Scenarios of Large-Scale Solar Integration with Wind in Morocco: Impact of Storage, Cost, Spatio-Temporal Complementarity and Climate Change. Physics [physics]. Institut Polytechnique de Paris, 2021. English. ffNNT : 2021IPPAX083ff. fftel-03518906
[9] Bouramdane, A.-a.; Tantet, A.; Drobinski, P. Utility-Scale PV-Battery versus CSP-Thermal Storage in Morocco: Storage and Cost Effect under Penetration Scenarios. Energies 2021, 14, 4675.
[10] Bouramdane, A.-a.; Tantet, A.; Drobinski, P. Adequacy of Renewable Energy Mixes with Concentrated Solar Power and Photovoltaic in Morocco: Impact of Thermal Storage and Cost. Energies 2020, 13, 5087.
[11] Ayat-allah Bouramdane, « PV, CSP et Éolien au Maroc: Intégration à Géométrie Variable », Énergie/mines & carrières, 15 Juillet (2022).
[12] Bouramdane, A., Tantet, A., and Drobinski, P.: Sensitivity of the Moroccan mix to the integration of Thermal and Battery Storage combined with Concentrated Solar Power and Photovoltaics: Design, Dispatch and Optimal Mix analysis, EGU General Assembly 2021, online, 19–30 Apr 2021, EGU21-8755, 2021.
[13] Katsikogiannis, O.A., Ziar, H., & Isabella, O. (2022). Integration of bifacial photovoltaics in agrivoltaic systems: A synergistic design approach. Applied Energy.
[14] Ayat-allah Bouramdane, « Chaleur Caniculaire, Incendies Gigantesques à Répétition: Des Signes du Changement Climatique? », Énergie/mines & carrières, 02 Août (2022).
[15] Ayat-allah Bouramdane, « Sécheresse: l’extrême va-t-il progressivement devenir la norme?« , Énergie/mines & carrières, 12 Août (2022),.

Ayat-allah Bouramdane (PhD)
Ingénieure-chercheure dans le domaine des énergies renouvelables, flexibilité d’énergie (ex., stockage) et variabilité/changement climatique

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