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LES SCHISTES BITUMINEUX AU MAROC : État des lieux et potentialités
Les schistes bitumineux (également schistes pétrolifères, pyroschistes, kérobitumeux) ou « Oil Shale » sont des roches sédimentaires au grain fin, contenant assez de matière organique, le kérogène, pour pouvoir fournir du pétrole et du gaz combustible. Contrairement à ce que laisse supposer leur nom, ces roches ne sont ni des schistes (roches qui ont pour particularité d’avoir un aspect feuilleté) ni des bitumes, ce sont généralement des marnes qui renferment des substances organiques en quantité suffisante pour faire l’objet d’une valorisation énergétique grâce à leur transformation par traitement thermique dit « pyrolyse ».
Leur nom prête parfois à confusion avec d’autres types d’hydrocarbures non conventionnels, notamment les sables bitumineux et les gaz de schiste. Les schistes bitumineux contiennent du kérogène qu’il faut traiter avant d’obtenir du pétrole alors que les sables bitumineux et les gaz de schiste sont directement exploitables, ceux-ci contenant respectivement du bitume et du gaz emprisonné.
Les schistes bitumineux varient considérablement les uns des autres, tant dans leur composition chimique, leur contenu en minéraux, leur âge, le type de kérogène et la façon dont ils se sont sédimentés.
Les ressources en schistes bitumineux au Maroc
L’EIA américaine (Energy Information Administration) a estimé en 2005 les réserves mondiales de schistes bitumineux de 2 800 à 3 100 milliards de barils de pétrole potentiellement exploitables.
Ces données sont fréquemment reprises, notamment par les sociétés productrices comme le groupe Estonien Enefit. Elles ont été réévaluées à la baisse en 2010 par l’AIE qui a estimé que près de 1 000 milliards de barils pourraient être récupérables sur l’équivalent approximatif de 5 000 milliards de barils de schistes bitumineux présents dans le sous-sol.
Selon les estimations actuelles, la grande majorité des réserves de schistes bitumineux seraient présentes aux États-Unis (jusqu’à 1 500 milliards de barils selon l’EIA américaine). Cependant les tentatives pour exploiter ces réserves depuis plus d’un siècle y ont pour l’instant connu des résultats limités tandis que l’exploitation du pétrole de schiste (« shale oil » en anglais) a très fortement augmenté depuis la fin des années 2000.
On trouve les plus grandes réserves du monde aux États-Unis dans la formation de Green River qui couvre une partie du Colorado, de l’Utah et du Wyoming.
Le Maroc dispose de ressources importantes de schistes bitumineux, il est classé au 6ème rang mondial après les USA, la Russie, la République Démocratique de Congo, le Brésil et l’Italie avec un potentiel de 53 milliards de barils d’huile en place dont plus de 37 milliards de barils dans les deux principaux gisements : Timahdit et Tarfaya.
Détermination de la qualité des schistes bitumineux
La qualité du schiste bitumineux est déterminée en mesurant le rendement en huile d’un échantillon de schiste au laboratoire. C’est le type d’analyse le plus utilisé pour évaluer une ressource de schiste bitumineux. La méthode couramment utilisée aux États-Unis est appelée « essai de Fischer modifié », d’abord développée en Allemagne, puis adaptée par le Bureau américain des mines pour l’analyse du schiste bitumineux de la formation de Green River à l’Ouest des États-Unis (Stanfield et Frost, 1949). La technique a ensuite été normalisée sous le nom de « American Society for Testing and Materials Method D-3904-80 » (1984).
L’exploitation des schistes bitumineux
L’industrie des schistes bitumineux est antérieure à celle du pétrole. La propriété des schistes de donner de l’huile par pyrolyse (anciennement « distillation sèche ») a été signalée par le chimiste Auguste Laurent dans une communication faite à l’académie des Sciences en 1830.
L’exploitation ex situ représente la principale voie d’exploitation des schistes bitumineux aujourd’hui. Elle consiste en une extraction minière de la roche pour ensuite appliquer le traitement thermique dans des usines en surface. Certaines technologies encore peu utilisées permettent d’exploiter ces schistes bitumineux in situ et ainsi de les chauffer sous terre.
Le pétrole est obtenu suite au procédé de pyrolyse : le schiste bitumineux est chauffé à une température suffisamment élevée (450/500 °C) dans une enceinte privée d’air (anaérobie), la vapeur engendrée est ensuite distillée en huile et en gaz.
Au Maroc, Les travaux de Recherche et Développement mené par l’ONHYM (Office National des Hydrocarbure et des Mines) sur les schistes bitumineux ont été intenses durant les années 70 et le début des années 80 suite aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Ces travaux ont concerné les aspects géologiques, miniers, les études de laboratoires, les essais en installations pilotes et les études de préfaisabilité technico-économiques, ont permis de mettre en évidence et confirmer le potentiel du Maroc en schistes bitumineux.
l’ONHYM a développé et testé son propre procédé de pyrolyse dit T3 (initiales des principaux gisements de Timahdit, Tarfaya et Tanger). L’unité pilote a été construite entre juin 1983 et novembre 1984 à Timahdit à l’aide d’un prêt de la banque mondiale. Elle a été mise en marche et testée à vide entre janvier et mars 1985 et opérée à charge entre avril 1985 et octobre 1986. La capacité de l’usine pilote construite est de 80 tonnes de schistes bruts par jour. 2500 tonnes de schistes bitumineux ont été testées par ce procédé qui a donné un rendement moyen de 70% en huile par rapport à l’Essai Fisher. (www.onhym.com)
Les enjeux d’exploitation des schistes bitumineux
Les schistes bitumineux sont destinés à plusieurs fins :
• la conversion en hydrocarbures à travers le processus chimique de la pyrolyse ;
• la combustion de basse qualité pour la production d’électricité ;
• l’utilisation comme matériaux de base (industries chimiques, agriculture, construction).
Ci-après quelques produits qu’il est possible d’obtenir à partir de l’huile de schistes bitumineux :
• des essences dont la teneur en carbone est en général au-dessus de la moyenne ;
• des huiles de lampe ;
• des huiles lourdes convenant particulièrement aux moteurs diesels ;
• des huiles de graissage ;
• du goudron employé dans la fabrication des mastics et des asphaltites.
Les schistes bitumineux ne sont encore que peu exploités, malgré l’importance de leurs réserves, du fait d’une double problématiques :
- Défis économiques :
La production de pétrole à partir de schistes bitumineux devient économiquement viable si le prix du baril se situe au-delà de 60 dollars selon l’AIE (Agence Internationale de l’Energie). Le prix est donc le frein principal à l’exploitation de ce pétrole dit « non conventionnel ». - Défis environnementaux :
La combustion et le traitement thermique des schistes bitumineux génèrent des déchets et émettent dans l’atmosphère du dioxyde de carbone. Des études estiment que la production de carburants issue des schistes bitumineux entraîne des émissions de CO2 sensiblement plus importantes que la production de carburants issue d’hydrocarbures dits conventionnels.
Biographie de l’auteur : M. Youssef DAAFI
M. Youssef DAAFI est titulaire du diplôme de technicien spécialisé de l’Institut des Mines de Marrakech en 2001, d’une Maitrise d’Es-sciences Spécialisé en Métallogénie de la Faculté des Sciences et Techniques de Marrakech en 2003, d’un Diplôme d’ingénieur d’état géologue de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Rabat (x. ENIM) en 2005, d’une formation spéciale sur les Phosphate Mining à Colorado School of Mine aux USA en 2015 – 2016 et actuellement il poursuit ses études en MSc « Géopolitique et Géoéconomie de l‘Afrique émergente » 2019 – 2020 à HEC – Paris.
M. Youssef DAAFI est actuellement enseignant chercheur et responsable du développement du Living Lab « Mine expérimentale » dite aussi « Advanced Mining Technology Plateforme for Africa » à l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) depuis mai 2018, il était responsable du département géologie Zone Centre à l’OCP S.A entre 2006 et 2018 et Responsable d’exploration géologique entre 2005 – 2006 à la société SAMINE du groupe MANAGEM.