Energie
L’électronucléaire : une sacrée option énergétique à saisir
Personne ne nie plus désormais que l’électronucléaire est une option énergétique à fort potentiel industrialisant, mais requiert des capacités organisationnelles irréprochables et des engagements multiples à la fois sur les plans politique et économique ou encore sur les aspects scientifique et technique. Dans cet article, nous allons évoquer des considérations liées au contexte général de l’énergie nucléaire, suivies d’un aperçu succinct sur les opportunités qui s’offrent à notre pays pour le développement de cette option et enfin des propositions de portée générale.
Le contexte énergétique requiert aujourd’hui des adaptations indispensables aux nouvelles réalités socio-économiques internationales. La croissance de la population mondiale qui doit passer à près de 10 milliards d’individus à l’horizon 2050, pèsera fortement sur la demande mondiale en énergie et particulièrement en électricité. La croissance économique des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) et des autres pays qui suivront la même voie va compliquer davantage l’espoir au développement des pays pauvres. L’énergie sera de plus en plus au centre des débats économiques internationaux et le nucléaire civil reprendra progressivement sa place au niveau de l’échiquier industriel.
Un contexte favorable
D’ailleurs, durant les deux dernières décennies et jusqu’aujourd’hui et quoi que l’on constate une baisse très nette des programmes d’équipement en centrales nucléaires par rapport aux années 70 et 80 du siècle dernier, on continue à observer dans une bonne partie de la planète une croissance de la production de l’énergie nucléaire et une volonté d’un certain nombre de pays d’augmenter la puissance de leur parc électronucléaire, dont notamment les pays asiatiques (le Japon, la Chine, la Corée et l’Inde) ayant construit le plus ces dernières années de réacteurs nucléaires.
Si de l’autre côté l’on se permet d’avancer que beaucoup de pays notamment occidentaux ont stoppé la construction de nouvelles centrales pour des raisons écologiques saupoudrées de calculs politiques ouvrant la voie à des privilèges économiques, on n’oublie souvent de préciser qu’ils n’ont pas pour autant arrêté la production, et plusieurs d’entre eux envisagent à l’avenir le renouvellement des capacités actuelles, bien que le seuil ultime de développement recherché ailleurs eut bel et bien été et depuis longtemps franchi chez eux.
Rééquilibrage des énergies
Ainsi et afin d’éviter le chemin de l’illusion, il faudrait s’attendre à ce que durant ce 21ème siècle s’opère un rééquilibrage des énergies dans le monde sous l’effet combiné de la baisse attendue des réserves en hydrocarbures et leurs répercussions négatives sur les prix y afférents, du besoin de tous à pouvoir accéder à une énergie économique et de l’attention croissante portée à la protection de l’environnement depuis les conférences universelles sur ce sujet.
L’énergie nucléaire devrait trouver sa place dans ce rééquilibrage. Tout d’abord, il y a lieu de signaler que le combustible utilisé pour la production électrique ne connaît pas les mêmes contraintes que le pétrole ou le gaz. Ses réserves sont plus importantes (des centaines d’années de consommation en réserve avec les systèmes d’estimation utilisés actuellement et plusieurs milliers d’années avec de nouvelles technologies) et leur disponibilité n’est pas soumise à des aléas géopolitiques susceptibles de les mettre en péril. En outre, il est fondamental de révéler la stabilité des coûts de production de l’énergie nucléaire liée au faible prix de la matière première : le coût du combustible nucléaire ne représentant que près de 20 % du coût de production actualisé (contre 60 à 70 % pour le gaz naturel, ces chiffres devant être revus à la hausse pour des raisons évidentes de conjoncture).
En revanche, les coûts d’investissement et les délais de réalisation sont beaucoup plus importants pour une centrale nucléaire que pour une unité conventionnelle fonctionnant au charbon ou au gaz naturel. D’ailleurs, la tendance à rallonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes s’explique, dans un contexte de marché libre de l’électricité, par le fait que certains électriciens préfèrent investir dans cette option que de s’engager dans des investissements à délai de réalisation relativement long.
Ainsi, la durée de rentabilisation d’un investissement lourd et les risques importants inhérents au projet de développement de l’électronucléaire (risque commercial, technique, réglementaire ou politique) sont donc, très élevés pour le nucléaire. L’engagement volontariste en faveur de l’option électronucléaire est dans ce cadre un facteur d’appréciation capital.
Des opportunités pour notre pays
De prime à bord, il conviendrait de souligner que le secteur électrique national, toute activité confondue, se situe au premier rang des secteurs d’infrastructures, qui sont considérés devoir jouer un rôle-clé dans le développement socio-économique du pays.
Le secteur électrique est stratégique d’abord par les investissements hautement capitalistiques qu’il requiert. Il importe de veiller en permanence à ce que les sommes considérables qui lui sont consacrées soient utilisées efficacement et que les résultats obtenus soient à la mesure de l’effort consenti, qu’il s’agisse de la qualité d’électricité effectivement disponible dans le pays ou du rendement économique du capital investi.
Il est stratégique aussi par ses multiples effets notamment sur la valorisation des ressources énergétiques nationales lorsque cela s’avère économiquement rentable (eau et vent essentiellement), le développement des activités productives et l’augmentation de la productivité des activités industrielles et artisanales, l’implantation de petites industries créatrices d’emploi en zones rurales et la croissance de la population agricole, sans oublier l’amélioration de la qualité de vie et du bien être des populations.
Le secteur électrique est stratégique enfin par ses effets en amont. Le fait que l’électricité nécessite l’installation continuelle et la maintenance de nombreux équipements de production, de transport et de distribution, le secteur électrique, aux côtés d’autres secteurs, devrait servir de levier pour la promotion et le développement d’une industrie locale ou régionale (à l’instar de beaucoup de pays tels que la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, et certains pays latino-américains…) au lieu de se cantonner dans des productions moins qualifiées et peut être à faible valeur ajoutée (poteaux, câbles, transformateurs,…).
C’est ainsi que le secteur de l’électricité est appelé désormais plus que jamais à jouer un rôle de locomotive du développement et de modernisation tant sur le plan commercial que sur le plan technologique, et il faut être conscient que les exigences d’une économie compétitive dans un environnement mondial en pleine mutation marqué par la tendance de la globalisation produisant des chocs socio-économiques imprévisibles va soumettre de plus en plus notre économie à une concurrence accrue.
Rôle des pouvoirs publics
Nous pensons qu’il doit y avoir au moins trois raisons essentielles pour que les pouvoirs publics s’intéressent particulièrement à l’électronucléaire : l’insuffisance pour le moment des ressources énergétiques locales, les incidences négatives des coûts des importations énergétiques (pétrole, charbon et gaz naturel) sur l’économie nationale et la forte croissance de la demande d’électricité. Il serait également judicieux de signaler pour une reconnaissance historique que les pouvoirs publics avaient réalisé, sous les auspices de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), au milieu des années 80, des études de faisabilité pour l’introduction d’une première centrale nucléaire. Ces études avaient permis de choisir un site pour abriter la première centrale électronucléaire du pays. L’adéquation du site au plan de la sûreté nucléaire avait par la suite été confirmée.
Par ailleurs, les études de faisabilité avaient conclu, à l’époque, que, pour des raisons de limitation d’insertion dans le réseau national, la date la plus proche d’introduction d’une première unité de 900 MW, dans le cadre d’un programme d’équipement volontariste favorisant l’introduction de l’option nucléaire, devrait intervenir à l’horizon 2015. Soit ! L’actualisation de cette étude a été dernièrement entreprise et des éléments d’appréciation permettant de confirmer le choix évident de la nécessité de mise en place d’un programme électronucléaire pour la production d’électricité devraient être disponibles.
Des défis à relever
Il est aussi évident comme signalé plus haut que l’option électronucléaire reste confrontée à un certain nombre de défis d’ordre juridique, scientifique et technique, financier, écologique ou géographique ; mais nous considérons que notre pays dispose de capacités et d’atouts qui pourraient jouer en faveur de l’introduction de cette option dans des conditions satisfaisantes, à savoir: un potentiel scientifique, technique et administratif spécialisé dans divers secteurs d’activités nucléaires; la capitalisation d’études de faisabilité et de préfaisabilité, et l’existence d’un site déjà qualifié par l’AIEA ; la mise en service du Centre d’Etudes Nucléaires de la Maâmora devant constituer un environnement favorable à la consolidation des compétences nationales dans les activités liées au nucléaire ; un cadre législatif et réglementaire en pleine évolution ; enfin l’ouverture du secteur électrique à des partenaires nationaux et internationaux…
Mesures à prendre
Pour la réalisation des objectifs recherchés par l’utilisation de la technologie nucléaire à des fins pacifiques, certaines mesures s’imposent : comme le parachèvement et la promulgation de l’encadrement juridique et réglementaire devant définir et préciser les obligations indispensables à imposer en matière de sûreté nucléaire. Il faut aussi mettre en place un Organisme de Sûreté jouissant des moyens humains et financiers adéquats et d’une autonomie de fonctionnement suffisante pour lui permettre l’accomplissement de sa mission dans de bonnes conditions, indépendamment des structures existantes. Mais aussi définir avec davantage de pertinence et de précision la politique de coordination devant présider aux contacts des différents acteurs impliqués dans le nucléaire. Il s’impose également de mettre en œuvre une politique nationale en matière du développement nucléaire sur le long terme (25 à 30 ans, au minimum), car les investissements à réaliser sont lourds de conséquence et leur prise en charge devrait être envisagée avec un maximum de recul nécessaire qu’imposent la rigueur d’une politique budgétaire de l’Etat et la limitation des ressources d’un Etablissement Public. De même, il faut mettre en place un forum permanent de réflexion animé par le biais d’un organe de consultations et de propositions auquel reviendra en particulier la charge de veiller à orienter et à pérenniser les efforts de l’Etat dans sa politique nucléaire et de suivre les débats qui se développent sur cette question au niveau de la scène internationale. Enfin, il faut associer l’expertise nationale dans la conception, le suivi et l’accomplissement des projets nucléaires.
Tels sont quelques limbes éléments liés à la problématique de développement de l’option nucléaire qui, espérons-le, seront enrichis par d’autres contributions plus spécifiques et plus recherchés pouvant accrocher un débat sérieux sur le sujet. Peut-être, plus d’un débat… des actions ! C’est une question de temps, comme l’avait dit si bien Voltaire pour les français : « le français arrive à tout ce qui est bien, mais il y arrive tard. On commence chez nous à blâmer ce qui est hardi, et l’on finit par l’imiter ».Sauf que pour l’option nucléaire, la France est partie… à temps et… bien ! A suivre…