Les pays membres de l’Union africaine officialisent dimanche 7 juillet la création d’une zone de libre-échange pour les pays d’Afrique. À terme, ce marché commun pourrait concerner 1,2 milliard d’individus dont, une quarantaine de pays d’Afrique vont commencer à abaisser leurs barrières douanières pour créer à terme un grand marché commun. Ce nouvel espace économique sera connu sous le nom de Zone de libre-échange continentale (ZLEC).
Ce changement concrétise une idée en discussion depuis des dizaines d’années entre pays d’Afrique. Mais il ne va pas entraîner un « big bang ». C’est plutôt le début d’un processus qui demandera du temps avant de produire des résultats. « Cette zone de libre-échange sera mise en œuvre graduellement. Elle donne un cap et un projet de long terme aux économies africaines », explique Mihoub Mezouaghi, économiste et directeur du bureau de l’Agence française de développement (AFD) à Rabat.
La ZLEC est donc entrée officiellement « dans sa phase opérationnelle » à l’occasion du sommet de l’Union Africaine (UA) qui s’est tenu à Niamey, au Niger, du 4 au 7 juillet. À terme, ce marché commun pourrait concerner les 55 membres de l’Union africaine, soit 1,2 milliard d’individus, ce qui en fera la plus grande zone de libre-échange du monde. L’objectif est de réduire les tarifs douaniers sur 90 % des produits et d’arriver à une augmentation des échanges de marchandises de 60 % d’ici à 2022.
Ce projet a reçu le renfort du Nigeria qui s’y est rallié à la dernière minute. Le géant économique de l’Afrique, avec ses 190 millions d’habitants, a en effet annoncé le 3 juillet son intention d’adhérer. Or ce pays avait plutôt choisi, jusqu’ici, la voie du protectionnisme. « Le président actuel, Muhammadu Buhari, a toujours montré beaucoup de réticence devant l’intégration régionale, analyse Ruben Nizard, de l’assureur crédit Coface. Mais le Nigeria est en crise depuis cinq ans. Le pays en tire les conséquences et comprend qu’il faut changer de modèle. »
Ainsi, toutes les grandes économies du continent sont signataires. C’est le cas de l’Afrique du sud, de l’Égypte, du Kenya, ou de l’Éthiopie. Cette dernière reste le pays africain ayant connu la plus forte croissance par tête, sur la période 2013-2017, avec 7 % par an.
Les pays africains commercent peu ente eux
Des négociations doivent maintenant s’engager entre tous les pays membres de la ZLEC pour arrêter un calendrier et la liste des produits pour lesquels les droits de douane vont baisser par palier. Chaque pays membre, en effet, va tenter de protéger son industrie le plus longtemps possible.
Un sujet s’annonce également épineux : il faudra déterminer à partir de quand un produit est comptabilisé comme fabriqué sur place. Bon nombre de grands constructeurs automobiles ont par exemple localisé des usines en Afrique. Les véhicules y sont simplement assemblés à partir de pièces détachées importées. Une voiture montée au Kenya ou au Nigeria peut-elle être considérée comme produite dans le pays, et donc bénéficier de droits de douane réduits ? Ces discussions doivent se conclure en juillet 2020, ce qui semble très ambitieux.
Le projet de zone de libre-échange a été porté par les idées panafricaines, très présentes dans le discours de nombreux dirigeants. Toutefois, dans la réalité, le commerce entre pays du continent reste aujourd’hui très limité. Actuellement, à peine 16 % des échanges des pays africains se font avec d’autres pays d’Afrique. À titre de comparaison, au sein de l’Union européenne, 70 % des échanges se font entre pays membres.
Besoin de routes transcontinentales
Cette faiblesse des échanges s’explique par le fait que l’économie du continent repose beaucoup sur les matières premières exportées vers des pays plus industrialisés. Les pays africains transforment peu. La part de l’industrie dans leur PIB est en moyenne de 20 % et ce sont des productions à faible valeur ajoutée (agroalimentaire, textile, ciment). L’abaissement des droits de douane peut donc devenir un argument, auprès de grands investisseurs étrangers, afin de les convaincre d’implanter davantage d’usines sur place.
La deuxième raison de la faiblesse des échanges est le manque d’infrastructures. Celles qui existent sont héritées de la colonisation. Elles servent plutôt à exporter les productions vers d’autres continents. L’Afrique aurait besoin de routes intérieures transcontinentales, de ponts, de lignes de chemins de fer. De plus, quand elles existent, ces routes ne sont pas toujours sûres. Le continent est miné par l’insécurité. Et le commerce est freiné par de nombreuses autres barrières non tarifaires : l’inefficacité de l’administration ou la corruption.
L’augmentation des flux commerciaux doit aller de pair avec l’augmentation des investissements et la levée de ces barrières. C’est d’ailleurs bien le résultat espéré par les promoteurs de la ZLEC. Le processus d’intégration entre pays africains n’est pas sans risque pour les plus fragiles. Les États dont l’industrie n’est pas compétitive seront davantage exposés à la concurrence. Les petits producteurs risquent d’en pâtir. Et certains gouvernements pourraient aussi être mis en difficulté en perdant les revenus tirés des droits de douane. Or ces revenus sont souvent l’essentiel de leurs ressources, du fait que l’impôt sur le revenu à un faible rendement.
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