Technologie

Champ électrique pulsé

Pour améliorer l’extraction de solutés
des produits végétaux

Dans l’industrie agroalimentaire on fait appel à des traitements physiques, chimiques ou biologiques pour modifier les propriétés de la matière première dans le cadre de différentes chaînes de transformation. Ce travail bibliographique traite du développement d’un procédé d’extraction aqueuse de solutés des produits végétaux, assistée par champ électrique pulsé (CEP). Il vise à améliorer le rendement en solutés et la cinétique de leur extraction à température ambiante avec une faible consommation énergétique et sans dénaturation des autres constituants cellulaires. Ce traitement permet de faciliter l’extraction et de préserver la qualité de l’extrait obtenu ce qui simplifie les étapes de purification ultérieures souvent indispensables après une perméabilisation thermique à haute température.

Par Amine Moubarik & Kamal El-Belghiti (*)

Le monde végétal constitue la source d’un nombre important de bio-substances, souvent sous forme de solutés, utilisées, directement ou après transformation, par l’homme. Quand la séparation de ces solutés contenus dans les tissus végétaux (solides) se fait par de l’eau, on parle d’extraction aqueuse, largement utilisée en industrie alimentaire. La présence des membranes cellulaires semi-perméables dans la structure cellulaire vivante rend l’extraction directe, sans passer par un prétraitement, difficile et parfois même impossible (Aguilera et Stanley, 1999). Dans la pratique, on est toujours amené à procéder à une réduction de la taille des solides (découpage, broyage). Ensuite, les solides subissent un prétraitement permettant d’augmenter la perméabilité des membranes cellulaires pour faciliter la libération des solutés pendant l’extraction. Un traitement thermique est très souvent utilisé, il garantit une extraction satisfaisante en matière de rendement puisqu’il conduit à la perméabilisation totale des membranes cellulaires. Néanmoins, d’un point de vue qualitatif, le traitement thermique ne paraît pas être un traitement approprié à cause de la thermo-sensibilité de certains constituants cellulaires qui se dénaturent sous l’effet de la chaleur et passent dans le jus d’extraction, ce qui dégrade sa qualité. De ce fait, des étapes de purification ultérieures sont toujours utilisées pour obtenir une pureté raisonnable, ce qui complique le procédé d’extraction (Jemai, 1997). Outre ce problème qualitatif, le traitement thermique met en jeu une quantité d’énergie très élevée, ce qui augmente le coût de production (Jemai, 1997).
Pour remédier à ces problèmes, des méthodes de traitement chimique et enzymatique ont été proposées comme moyens permettant d’atteindre la perméabilisation cellulaire à température ambiante sans apport de chaleur et avec une faible consommation énergétique. Cependant, le déclenchement des réactions secondaires indésirables et la durée du traitement qui est relativement longue (1-24 h), réduisent le champ d’utilisation de ce type de traitements (Shah et al., 2005).
Récemment, il a été démontré que la perméabilisation cellulaire peut être atteinte à température ambiante (perméabilisation non thermique), contre une faible consommation énergétique, grâce aux techniques émergentes de traitement par champ électrique pulsé modéré (CEPM, 100-1500 V/cm). Ce dernier est notamment utilisé pour la débactérisation et la stérilisation froide des aliments. Depuis quelques années, le traitement par CEPM des tissus biologiques dans le but d’extraire le liquide cellulaire suscite un intérêt majeur de la part des industriels et de plusieurs équipes de recherches en génie des procédés.

Traitement par champ électrique pulsé
Le domaine d’application du CEP en industrie agroalimentaire reste actuellement étroit : il s’agit essentiellement de la destruction des micro-organismes à basse température en utilisant des CEP de hautes intensités (champ électrique pulsé à haut voltage, CEPH, 20-30 kV/cm) (Heinz et al., 2001 ; Knorr et al., 2001), déshydratation osmotique (Ade-Omowaye et al., 2001) et de l’extraction de constituants cellulaires des végétaux en utilisant des CEP de moyennes intensités (champ électrique pulsé modéré : CEPM, 0,1-1,5 kV/cm) (Bazhal, 2001 ; Bouzrara, 2001 ; Bouzrara et Vorobiev, 2001 ; 2003 ; Jemai et Vorobiev, 2003 ; Lebovka et al., 2004 ; El Belghiti et Vorobiev 2004).
Que ce soit dans le cas des micro-organismes ou celui des tissus végétaux, la théorie de base de l’electroporation est la même. Ce sont les membranes cellulaires qui sont visées par l’effet du CEP et qui perdent leur perméabilité sélective après traitement.
Mécanisme d’électroperméabilisation
Plusieurs modèles décrivant le mécanisme de création des pores au niveau des membranes cellulaires, sous l’effet d’un champ électrique, ont été proposés. Citons tout d’abord l’approche stochastique qui propose que la formation des pores est basée sur la théorie de l’état métastable des membranes (Weaver et Chizmadzhev, 1996). Puis le modèle électroréologique qui modélise les pores par la mise en parallèle d’un ressort (caractérisant l’élasticité de la membrane), d’un amortisseur (caractérisant la viscosité du liquide dans les pores) et d’un patin (Pawlowski et al., 1998) et enfin le modèle proposé par Zimmermann (1986) le plus utilisé dans les travaux appliqués en agro-industrie. Barbosa-Canovas et al., (1999) affirment que lorsque la cellule est placée dans un milieu extérieur où la constante diélectrique est élevée, il se produit une présence de charges de signes opposés de part et d’autre de la membrane (figure I.a). L’application d’un champ électrique (E) engendre l’accumulation de charges sur les surfaces membranaires (figure I.b), et l’augmentation du potentiel transmembranaire de la membrane cellulaire (Um, en V). Lorsque le champ électrique appliqué dépasse une valeur critique (E>Ecr), la force électrocompressive devient supérieure à la force élastique, on assiste à l’apparition de pores et/ou élargissement de ceux existant au niveau de la membrane (figure I.c); l’électroporation est supposée être encore réversible. Une augmentation de l’amplitude du champ électrique et/ou de la durée de son application provoque une intensification de la perméabilisation et une destruction irréversible de la membrane cellulaire (figure I.d).
Visualisation de la permeabilisation membranaire
Lors d’une étude sur la perméabilisation cellulaire, Fincan (2003) a réussi à obtenir la photographie des cellules végétales, perméabilisées par CEP (figure II). La visualisation sous microscope électronique des cellules traitées confirme que le CEP perméabilise les membranes cellulaires et n’influence presque pas les parois cellulaires.
D’autres études notamment sur un tissu de pomme, effectuées par Bazhal et al., (2001) ont montré un changement significatif de la structure après une perméabilisation électrique combinée au pressage. La figure III montre un tissu de pomme a) intact ; b) après un pressage à 3 bars et c) un traitement combiné par pressage à 3 bars et un CEP de 500 V/cm. On voit qu’après le pressage simple une grande partie de cellules restent intactes (Figure III.b). La perméabilisation de la membrane cellulaire permet l’expulsion de jus cellulaire aboutissant à un compactage des cellules.
En conclusion, cette revue bibliographique a montré que l’application du CEP à température ambiante permet de perméabiliser les membranes cellulaires et augmente essentiellement la quantité du jus extrait. Grâce à une sélectivité du traitement, le CEP ne s’attaque qu’aux membranes, sans endommager les parois ou d’autres composants cellulaires. La durée très courte du traitement ne permet pas le réchauffement du tissu. Par conséquent, la qualité du jus extrait est nettement supérieure à celle du jus extrait par des méthodes traditionnelles nécessitant un préchauffage.

(*) A, Moubarik & K, El-Belghiti sont membres de l’Equipe Technologies Agro-Industrielles – UMR 6067 Unité Génie des Procédés Industriels – Département Génie Chimique – Université de Technologie de Compiègne – Centre de Recherche de Royallieu – France

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Petit lexique technique

Les explications ci-dessous permettront de mieux saisir les sens de l’article. Question d’initier nos amis lecteurs au langage, pas si compliqué que ça, de nos amis chercheurs.
Le lexique.

Champ électrique pulsé : C’est une technique qui permet d’atteindre la perméabilisation cellulaire grâce à un effet purement électrique.
Déshydratation osmotique : C’est un procédé basé sur la mise en contact de fruits entiers ou découpés en morceaux, avec des solutions fortement concentrées. Ceci donne lieu essentiellement à deux transferts de matière simultanés à contre courant : un important départ d’eau, du fruit vers la solution et un transfert de soluté, de la solution vers le fruit.
Electroporation : C’est l’application d’impulsions électriques contrôlées sur des cellules vivantes afin de perméabiliser la membrane cellulaire.
Extraction : Dans le lexique de la physique et de la chimie, l’extraction signifie la séparation d’une substance quelconque du composé dont elle fait partie. Appelée aussi séparation solide liquide, elle consiste à séparer une phase liquide contenue dans une autre solide.
Potentiel transmembranaire : Représente la tension de la membrane lorsqu’elle est soumise à un champ électrique extérieur.

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