Energie

Ressources énergétiques

Ressources énergétiques entre offre et demande

« Nous jetons une première
moitié de l’énergie, et nous utilisons très mal la seconde… »

Entretien avec Said Guemra, Expert Conseil en Management de l’Energie en Temps Réel

Avions-nous une politique énergétique nationale et étions-nous sur la même longueur d’onde avec les autres pays opérants dans ce secteur tant en qualité de producteurs qu’en qualité de transporteurs ? La crise qui sévit dans le monde affecte-t-elle réellement le Maroc au point de chercher à trouver les meilleurs moyens et stratégies pour y faire face ? Et quel est le degré d’efficacité des mesures d’accompagnement des politiques et stratégies énergétiques poursuivies dans ce sens. Dans l’entretien suivant, M. Said Guemra, tente de donner des réponses aux questions relatives à la politique énergétique et à l’efficacité des mesures d’accompagnement des différentes stratégies envisagées.

Entretien

Existait-il une réelle politique énergétique au Maroc avant la crise actuelle ?

La politique énergétique du Maroc a toujours été réduite à sa plus simple expression, plus d’offre énergétique pour plus de demande énergétique. L’essentiel était d’assurer la sécurité d’approvisionnement aussi bien en carburant qu’en électricité. Ce mode de gestion passif, a bien montré ses limites en 1993 avec les délestages électriques, et le prix que le contribuable a payé pour sortir de cette impasse : un seul producteur d’électricité JLEC avec plus de 60% en take or pay (obligation d’achat) de la consommation électrique du pays, ce qui est un risque énorme. La libéralisation du secteur qui aurait pu introduire une concurrence saine entre des producteurs privés petits et moyens, est tout simplement impossible. L’ONE hérite aujourd’hui d’une avalanche de problèmes qui ont plus de vingt ans d’existence, et ce sont des erreurs que nous allons repayer économiquement pour les trois ou quatre années à venir. Le management de l’énergie d’un pays tiens compte de la planification des nouvelles installations de production électriques, des innovations financières qu’il faut introduire en dehors des budgets de l’état, les économies d’énergie, la gestion de la demande électrique, les énergies renouvelables, et surtout les ressources humaines spécialisées dans l’ensemble de ces domaines, et qui font cruellement défaut chez nous.

Quelle est la situation des programmes d’efficacité énergétique au Maroc ?

En 1989, l’Agence Américaines pour le Développement International USAID a lancé presque simultanément au Maroc et en Tunisie deux projets de coopération dans le domaine de l’efficacité énergétique, le but était de réaliser des audits énergétiques dans les secteurs industriel et hôtelier, à charge pour les industriels de réaliser les recommandations. Ce programme a mis en évidence l’incroyable potentiel d’économie d’énergie aussi bien dans l’industrie, que dans l’hôtellerie,près de 40% du potentiel préconisé par les recommandations restaient à réaliser par les bénéficiaires de ces audits. D’autre part, la faiblesse de la productivité industrielle, à moins de 15% mesurée dans certains entreprises, explique en majeure partie, les ratios de production anormalement élevés par rapport à la concurrence, c’est bien là un de nos gros problèmes : un grand nombre de nos usines tournent doucement à faible régime, avec des records en matière d’arrêts de production, et sous performances diverses. Ils produisent peu par rapport à la concurrence, et ont des ratios énergétiques pouvant dépasser les 200 %. De plus, la faible productivité industrielle est à l’origine d’un manque de compétitivité dans le sens large, mais également d’une grande problématique d’intensité énergétique, et ceci indépendamment du prix de l’énergie. (L’exemple du secteur de la plasturgie ou le ratio énergétique par kilogramme extrudé a dépassé les 200%, le résultat a été que ces industries ferment actuellement, non seulement à cause du prix de l’énergie, mais surtout à cause des quantités d’énergie consommée par unité de production).
L’ensemble des recommandations dudit projet, devaient servir au Ministère de l’Energie de l’époque pour lancer des programmes opérationnels sur le terrain, et non pas des audits énergétiques. La Tunisie qui a crée l’Agence de Maîtrise de l’Energie, AME à l’époque qui est l’ANME actuellement avec plus de 80 sociétés spécialisées dans le domaine de l’efficacité énergétique et énergies renouvelables, un cadre institutionnel des plus performants,avec, entre autres, comme point d’appui, ce programme de coopération. Ceci a fait qu’aujourd’hui, nous nous trouvons très en retard par rapport à ce qui se passe en Tunisie en matière d’efficacité énergétique. Au fil du temps, nous avons dilapidé les compétences qui ont été formées, le Maroc ne compte que 4 ou 5 sociétés spécialisées dans le domaine de la gestion de l’énergie. Vingt ans plus tard, nous n’avons toujours pas de Loi pour l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Notre brusque réveil coïncide ainsi avec un prix du baril dépassant les 130 $ !

GMT+1, audits énergétiques dans l’industrie, la tarification de la pointe électrique, les hôpitaux : quelle serait encore l’efficacité de toutes ces mesures ?

Il y’a très longtemps que nous devions passer et de manière définitive à GMT+1, et ce pour harmoniser nos horaires avec l’Europe qui reste notre principal partenaire commercial, mais de là à affirmer que nous allons réaliser l’économie d’une centrale électrique de plusieurs Mégawatts, elle ne serait pas très grande, et on aimerait voir l’impact réel de cette mesure sur la pointe électrique nationale. Dans l’industrie, le fait de réaliser un audit énergétique constitue le début d’un travail très colossale, pour préparer les financements, la réalisation des projets d’économie d’énergie, le suivi et l’évaluation par la mesure, éventuellement la mise en place des systèmes de gestion de l’énergie pour s’assurer que les gains sont effectivement réalisés, les résultas sont parfois à la hauteur des efforts, avec des réductions de plus de 30%, mesures à l’appui. On ne peut pas dire que nous allons bâtir une stratégie d’efficacité énergétique en rédigeant des rapports d’audits qui sont restés depuis 1990 dans les tiroirs des industriels. Même que dans le domaine de l’énergie, nous sommes champions en matière d’études, mais avec très peu de réalisations. A l’image des autres pays, très particulièrement la France, nous devons mettre en place des programmes opérationnels sur sites industriels, des projets de démonstration vivants, des baisses de factures mesurables, c’est là que nous avons la confiance des industriels, qui ne demandent pas mieux que d’investir dans des projets très rentables: parfois moins de deux mois de temps retour, on ne se lavera pas le cœur rien qu’en se lavant les mains !
Pour la tarification de la pointe électrique, nous n’avons pas encore rencontré un industriel qui a bien voulu arrêter la production à cause d’une énergie plus coûteuse en période de pointe soit entre 17h et 22h. Même si le prix du kWh électrique est quasiment le double de la période 22h-07h, et pourtant l’effacement en heures de pointe est quasi impossible dans un grand nombre d’industries. Certaines entreprises travaillent 24h/24 à flux tendu n’arrêteront pas la production pour faire plaisir au producteur d’électricité, au risque de se compromettre avec leurs clients, ceux qui travaillent en deux équipes, ne peuvent en aucun cas différer, (même pour plus de 1 MDh de gain par an) le fonctionnement de l’équipe 2 celle de 22h-06h pour des raisons évidentes de sécurité dans les zones industrielles, et surtout de baisses de la qualité constatée chez les équipes du soir.
Pour les hôpitaux, il faut savoir que la consommation énergétique des 128 hôpitaux du Maroc, est équivalente à la consommation de 4 hôtels de catégorie 4 ou 5*. Nos hôpitaux sont faiblement équipés, et ils sont relativement peu consommateurs d’énergie par journée d’hospitalisation (JH), cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire pour nos hôpitaux, mais il n’y a pas de quoi faire toute une STRATEGIE nationale.
Ceci étant, il faut quand même souligner qu’il s’agit là d’une batterie de bonnes mesures, mais, celles-ci restent largement insuffisantes. Il est donc impératif de revoir notre copie en matière d’énergie en concertation avec les différents opérateurs et surtout les utilisateurs de l’énergie.
Il faut s’attaquer, aux vrais problèmes de gaspillage de l’énergie dans l’industrie, les hôtels, les ménages, et les administrations, et bien d’autres secteurs, très particulièrement le transport, avec des programmes opérationnels sur le terrain et non pas avec des rapports d’audits et des études qui, souvent, sont restés lettres mortes…
Il est vrai que le ratio énergétique par habitant est assez bas, il est de 0,4 Tep/habitant, mais ce nous oublions de dire de manière très volontariste, c’est qu’il nous faut 1,4 Tep pour 1000 $ de PIB, contre 0,7 Tep / 1000 $ pour les pays de l’OCDE, globalement nous jetons une première moitié de l’énergie, et nous utilisons très mal la second moitié. Il faut bien plus que GMT+1 pour résoudre cette problématique.

Auriez-vous d’autres propositions pouvant être des alternatives ?

Il suffit de voir autour de soi. Les pays qui ont réussi dans le domaine de la promotion de l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables : France, Allemagne, Suède, et bien d’autres pays, ont payé le prix fort pour que chaque produit fabriqué ne consomme que la quantité utile d’énergie, à chaque nuitée d’hôtel correspond un ratio énergétique normalisé, la consommation en litres /100 Km de chaque véhicule est contrôlée annuellement, même la consommation des réfrigérateurs, l’éclairage des ménages, sont standardisées, et pour en arriver là, ce n’est pas avec une simple « Hamla » (campagne) d’économie d’énergie que nous allons y parvenir, c’est un travail de longue haleine, dans lequel des pays amis doivent nous aider sur le terrain.
Cela devra commencer chez nous (même avec trente ans de retard), par un cadre institutionnel adéquat, une agence forte, responsable, à l’image de bien des agences qui ont réussies des projets d’envergure chez nous, des programmes très diversifiés avec des thématiques horizontales, et des évaluations précises des économies effectivement réalisées, ou des énergies réellement substituées par du renouvelable, mais avant tout une volonté politique qui permettra de positionner le secteur de l’énergie à la place qu’il mérite. L’énergie est un facteur de compétitivité de nos entreprises industrielles, nos hôtels, et finalement notre pouvoir d’achat, et notre stabilité sociale, les potentiels en efficacité énergétique et énergie renouvelable sont énormes, très particulièrement l’éolien et la biomasse à court terme, et le photovoltaïque à moyen long terme. Comme nous le constatons par les chiffres, l’énergie restera le secteur ou les demis mesures, et la politique politicienne sont interdites.

Propos recueillis par MD

Tags
Montrer plus

Articles connexes

Close