Chroniques

Requiem pour un droit de savoir

Tout homme a le droit de savoir. Pour la bonne et simple raison que, sans la connaissance, il ne serait pas un homme. Et, réciproquement, parce que le monde est fait pour être connu.
On convient généralement aujourd’hui – c’est même en train de devenir une effrayante banalité – que l’instruction est le premier des biens, parce qu’elle est la condition de tous les autres.
Les « grandes » sociétés, ou les « nouvelles » comme l’on voudra, sont celles qui consacrent le meilleur de leurs forces et le principal de leurs ressources à la transmission du savoir acquis, pour préparer les inventions de demain. Ce faisant, elles ne réalisent pas seulement un bon placement mais encore, et surtout, elles accomplissent la plus haute fonction qui puisse justifier une société organisée.
Le capital accumulé par l’humanité depuis son premier jour est un patrimoine indivis qui appartient à tous, car il a été produit par tous, et la plus grande injustice est qu’il puisse être monopolisé par quelques uns.

La Connaissance est l’unique propriété digne de ce nom, et pourtant elle n’appartient à aucun homme en particulier. Elle peut, elle doit être indéfiniment partagée, sans jamais s’en trouver amoindrie. En la recevant je ne prive personne ; en l’accroissant j’enrichis tout le monde. C’est pourquoi le savoir est un bien à la fois pleinement individuel et pleinement collectif.
Venu des hommes qui le communiquent, sans le perdre, il va aux hommes et les unit dans une pleine liberté. Connaître et communiquer, c’est tout un.
Cette conscience de l’espèce ne contredit en rien notre autonomie personnelle : bien au contraire, elle la fonde. Les liens qui nous unissent à la communauté des hommes sont les mêmes qui tissent le réseau de notre propre existence.
Sans les autres, sans tous les autres –ceux du passé, ceux du présent et même ceux à venir-, nous ne serions qu’une bulle sans contenu et sans attaches, tournoyant au vent de ses vestiges, ballottée contre mille courants contradictoires , incapables de liberté faute de solidarité. Mais, inversement, dans l’unité différenciée de la famille humaine chacun de nous a sa place singulière, celle du plus irremplaçable des êtres.
Cependant, rien ne serait plus faux que de s’arrêter au divertissement des signes sans chercher à comprendre leur signification. Au-delà des anecdotes, nous tentons indéfiniment de découvrir une histoire, c’est-à-dire, une réponse à nos questions, à notre unique question.
Ce qui concerne l’un d’entre nous, concerne chacun de nous. Il n’est pas d’ébranlement, si infime et apparemment dérisoire, soit-il, qui de proche en proche n’affecte la totalité non seulement des consciences mais de l’Être.
De sorte que littéralement, la connaissance des autres nous informe parce que c’est le monde qu’elle forme.
Laissons là ces réflexions qui pourraient nous conduire à philosopher, quand notre but est des plus terre à terre.
A ceux qui fort légitimement, réclament de bons arguments pratiques, ne manqueront pas davantage les certitudes sonnantes et trébuchantes. En effet, le bénéfice du savoir est plus clair encore que le valeur de son capital : il est évidemment indispensable à toute action. Nul n’est censé ignorer la loi. Nul ne peut vivre sans, si chaque instant, pour la moindre des choses, connaître les dédales de l’univers où il est enfermé.
Il nous faut savoir pour agir. Comme producteur ou comme consommateur, comme père de famille ou comme usager du gaz, pour le profit, pour survivre tant bien que mal et même pour se distraire. Bref, pour participer. Et puisque l’usage a pertinemment appelé Sujets ceux qui subissent passivement le poids de la société tandis qu’il désigne sous le beau nom de citoyens ceux qui en sont les acteurs, ne craignons pas de rappeler – puisque c’est la vérité même – qu’il ne saurait y avoir des citoyens sans information partagée.
Non seulement notre raisonnement isolé ne nous apporte guère plus, mais la plupart du temps les réalités authentiques le contredisent. Même l’opinion des autres qu’il est si nécessaire de connaître non pour se modeler sur elle mais parce qu’elle influence toute décision, ne nous est désormais accessible que de manière directe.
Combien, cependant, demeurent persuadés que leur opinion – avec, à la rigueur, celle du voisin- est-ce l’opinion ?
Inutile de poursuivre sur ces préalables, puisque aussi bien la cause est entendue. Notre siècle, et ceux qui le suivront seront l’âge de l’information. Tout le reste en découle. A commencer par la Démocratie, qui n’est rien d’autre.
Dans l’immédiat, la mode est à la participation. Tant mieux. Mais disons le tout haut : sans l’information, la participation ne sera, elle aussi, qu’une farce. Une de plus.

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