Energie

Rationalisation des plates-formes aeroportuaires

Entretien avec Monsieur ABDELHANINE BENALLOU, DG de l’ONDA
 
Expert en énergie et initiateur de grands projets au Maroc, M. Benallou, de par sa formation et son parcours, suit de très près l’évolution du secteur énergétique et y innove. L’introduction des ER dans les installations des infrastructures aéroportuaires est certes l’une de ses plus importantes trouvailles, il regrette que ce secteur ait tardé à se doter d’une vision claire et d’une stratégie adéquate pour une action gouvernementale rigoureuse en la matière. Autant de questions que nous développons dans cet entretien après un passage en revue des différentes actions de l’ONDA en matière de production d’énergie, des énergies renouvelables et de préservation de l’environnement.

Dans cet entretien, Monsieur Abdelhanine BENALLOU, se décale de son quotidien pour porter sa casquette d’expert en énergie. Aussitôt débat passionné et passionnant sur l’énergie au Maroc…
 

« L’impression de la  perpétuelle découverte dans le secteur énergétique »

 
 
Avec ses émissions de Co2 beaucoup prétendent que l’aérien est l’ennemi  juré de l’environnement, êtes-vous d’accord avec cette vision sinon que fait l’ONDA en matière de préservation de l’Environnement ?
 
Je ne pense pas que l’aérien soit l’ennemi juré de l’environnement comparé à d’autres secteurs. Si l’on compare aussi les pollutions  potentielles de l’aérien et celles d’autres secteurs d’activité, je ne pense pas vraiment que celui-ci puisse vraiment être un ennemi juré de l’environnement, notamment au Maroc. Depuis quelques années, plusieurs initiatives liées à la préservation de l’environnement ont été prises notamment  des mesures de la qualité de l’air et de l’eau. Notre activité n’a pas vraiment d’impact environnemental négatif qui mérite d’être souligné. Ceci est perceptible au niveau des concentrations de Co2 et d’autres polluants au niveau des plates-formes aéroportuaires qui sont inférieurs aux concentrations de ces mêmes polluants en ville. Cependant, même avec des niveaux aussi bas, nous avons une attitude proactive en terme de préservation de l’environnement et ceci à plusieurs niveaux.
 
Partant de l’intérêt que vous accordez à la question, quelles mesures ont été prises pour résoudre les problèmes énergétiques et  environnementaux ?
 
D’abord, en termes de consommation d’électricité et d’eau au niveau des différentes plates formes aéroportuaires, nous avons réalisé des études portant sur la gestion de la demande en  électricité dans les principaux aéroports notamment à Casablanca. Ces études ont abouti à la mise au point de nouvelles procédures permettant la gestion rationnelle et l’économie de l’électricité dans les aéroports. En termes d’introduction d’énergies renouvelables, nous avons commencé par l’introduction du photovoltaïque dans l’architecture des aérogares. Le photovoltaïque est intéressant mais sa production est faible, nous considérons cette introduction comme un démarrage qui a une valeur symbolique. Nous avons en parallèle considéré, dans le cadre du programme 2009,  la préparation d’une série de fermes éoliennes qui seront appelées à fournir de l’électricité aux différents  aéroports du Royaume. Notre ambition est d’être autonome avec des aéroports à 100% verts. En somme, parvenir à faire en sorte qu’à l’horizon 2020, l’ensemble de l’énergie consommée par les  aéroports  soit verte. Nous avons déjà commencé par une installation de 10 Mégawatts, qui correspond à la consommation de l’aéroport de Casablanca, projet mené en collaboration avec le développeur  Nareva. Cet élan va continuer. D’autres fermes éoliennes vont alimenter les autres aéroports du Maroc. Il est prévu qu’en 2025, nous ayons 25 Mégawatts installés pour l’alimentation des aéroports.
La consommation énergétique des quatre dernières années a été maîtrisée en dépit de l’augmentation du nombre des passagers aériens, le parc automobile a été amélioré, …
Voilà pour ce qui est de la consommation de l’électricité et de l’énergie au niveau des aéroports.
 
Et qu’en est-il de la consommation d’eau ?
 
En termes de consommation d’eau, la même perspective a été engagée en mettant en œuvre  un programme de modernisation des techniques d’assainissement utilisées dans les aéroports et surtout la réutilisation des eaux usées. Nous sommes en train de finaliser la mise en place des stations d’épuration de Nouasseur et de Benslimane. Ces stations permettront, non seulement de  répondre aux besoins en assainissement de ces aéroports et des zones avoisinantes, mais également  de fournir d’importantes quantités d’eau  purifiée, utilisables dans les réseaux secondaires des  infrastructures aéroportuaires  et dans l’irrigation des espaces verts et des champs agricoles avoisinants. C’est dans cette  perspective que s’inscrivent l’ensemble des projets de l’ONDA pour assurer un développement soutenu de l’activité  tout en préservant l’environnement et en consolidant  les déterminants du développement durable.
 
Pensez-vous que vous avez agi dans un cadre adéquat et que le pays est aujourd’hui en  mesure d’entreprendre des démarches pareilles quant aux compétences et au savoir faire ?
 
En ce qui concerne la production  et l’introduction du photovoltaïque, il est sûr qu’il faut une expertise et un savoir-faire en la matière. Quand nous l’avons fait, c’était grâce à notre connaissance du terrain et grâce aussi au fait que le Maroc dispose actuellement d’un savoir faire important, d’un réservoir d’expertise dans ce domaine et d’équipes d’ingénieurs et de techniciens bien imprégnés et initiés. Moi je l’ai fait parce que d’abord je suis convaincu que les énergies renouvelables constituent des options d’avenir pour notre pays, et puis parce que je savais que notre expérience pouvait être utile à d’autres grandes entreprises publiques ou privées pour lesquelles j’estime qu’il aurait été impossible de tenter seules l’expérience, tout simplement parce qu’il s’agit là de technologies nouvelles et de problèmes d’intégration des ressources humaines compétentes en la matière… Aujourd’hui, on voit déjà les prémisses d’un changement positif des mentalités : lorsqu’on parle aux architectes d’introduction de Photovoltaïque dans les aérogares, ils trouvent cela normal parce qu’ils peuvent maintenant se référer à des réalisations possibles et que ces technologies sont devenues plus ou moins connues et assimilées. Je me rappellerai toujours de la première fois que j’avais abordé, avec une équipe d’architectes franco-marocains l’intégration du photovoltaïque dans la conception des bâtiments aéroportuaires, cela paraissait plutôt inconcevable. Aujourd’hui, ce sont des équipes marocaines qui prennent en charge ce genre de projets en toute compétence et en pleine confiance.
 

Est-ce dire que vous avez été appuyé par un cadre juridique et réglementaire  adéquat ?
 
Absolument pas ! D’ailleurs, quand nous avons lancé l’installation du photovoltaïque  au niveau du Terminal 2 de l’aéroport Mohammed V, il y avait un vide juridique, vis-à-vis de l’ONE et de la Régie de distribution. Il n’y avait aucun texte qui donnait le droit à l’ONDA, en tant qu’aménageur,  d’injecter  de l’électricité dans le réseau. Mais il fallait juste y aller de l’avant. La problématique résidait dans le fait que ce vide juridique ne permettait pas aux investissements de se faire dans ce domaine. Ce vide n’est d’ailleurs, à ce jour, pas comblé de manière claire. Je considère donc qu’en allant de l’avant dans ce projet, j’ai fait une action militante. Ce projet visait avant tout à servir d’exemple à suivre…  Ce fût d’ailleurs le cas parce qu’au lendemain du lancement de l’action, j’ai été contacté par un bon nombre de responsables qui posaient des questions sur la faisabilité de l’introduction du photovoltaïque dans la conception des bâtiments et sur l’injection d’électricité produite dans le réseau. C’est encourageant de savoir qu’aujourd’hui, plusieurs responsables d’établissements publics prévoient dans leurs programmes, l’introduction des énergies renouvelables. Ce n’était pas le cas il ya trois ans. Le changement a donc été malgré un manque de visibilité et un manque de prise de position sur le plan politique car il s’agit bien d’un choix politique qui doit être concrétisé par le gouvernement dans l’intérêt du pays…
 
L’absence de cadre légal et de lois ferait-il que le pays soit en retard en matière d’énergie ?
 
Il est sûr et clair que nous sommes en retard en la matière et que nous devons nous rattraper. Ce qui est déplorable c’est de constater qu’on a l’impression d’être en perpétuelle découverte de choses ultra connues dans ce secteur. On a l’impression de découvrir aujourd’hui l’efficacité énergétique, l’utilisation rationnelle de l’énergie ou l’économie de l’énergie par exemple. On n’arrête pas de découvrir et de redécouvrir. Les appellations sont adoptées puis changent sans que des actions concrètes et significatives ne soient lancées de manière durable. On revient de façon cyclique à la case de départ pour reprendre avec de nouvelles équipes les découvertes des choses connues…
 
Mais qu’est ce qui fait qu’on n’ait  jamais pu réussir à  aller  jusqu’au bout ?
 
Je pense que nous avons toujours évolué autour d’un certain nombre de concepts, que nous avons formé des équipes, constitué des réservoirs d’expertise, mené des expériences concluantes à titre pilote et développé des programmes ambitieux, mais nous n’avons jamais mis en place le cadre juridique nécessaire, les choix clairs et les décisions politiques indispensables. On peut dire cela au niveau de toutes les filières énergétiques. Prenons celle des énergies renouvelables par exemple. Depuis sa création en 1982, le Centre de Développement des Energies Renouvelables (CDER) n’a cessé de faire  connaître les différents concepts des énergies renouvelables de développer son expertise et d’établir sa reconnaissance, mais il n’y a jamais eu une véritable volonté politique ou d’action gouvernementale décisive pour aller de l’avant. Ce secteur a nécessairement besoin d’une réglementation et d’une vision claire. Il a besoin d’un certain nombre de mesures incitatives et de lois adéquates. Autre exemple dans un autre contexte que celui des énergies renouvelables : Les schistes bitumineux. En 1982-83, découverte des schistes bitumineux de Timahdit de Tarfaya et de Tanger. L’Onarep, à l’époque, avait démarré  l’action et avait constitué toute une équipe d’ingénieurs hautement qualifiés, formés aux Etats unis, et qui ont fait le tour du monde pour tout voir, là où il y a des schistes. Ils ont tout analysé, tout étudié et ils ont développé avec la société Shell un procédé appelé T3 (Timahdit – Tarfaya – Tanger). Procédé entièrement marocain qui consistait à réchauffer les roches pour en extraire de l’huile. Dans le temps, toutes les études de faisabilité qui étaient faites montraient  qu’à partir d’un prix du baril de pétrole de 32 Dollars, le procédé était très rentable. A l’époque le baril faisait 15 Dollars. Le temps est passé. Le prix du baril a grimpé à 30 Dollars puis à 160. Aujourd’hui il est redescendu à 40 Dollars, mais le projet T3 ne bouge pas, et certains de ses initiateurs sont partis à la retraite, d’autres ont changé de cap ou de fonction. L’expertise s’est ainsi évaporée et rien n’a encore été fait. On se retrouve encore à l’étape de la redécouverte  dans ce secteur aussi et on redécouvre encore !  Tout est pourtant bien là, pour exploiter nos schistes. Au lieu de cela, on redécouvre…
 
Serait-ce aussi le cas pour  la production d’électricité ?
 
En matière de production d’électricité, c’est du pareil au même. On parle encore de choses connues telle que  la libéralisation de la production, une libéralisation qui doit d’ailleurs être à tous les niveaux et sans limitation : Pourquoi limiter la production indépendante ? Pourquoi 10 MW ou 40 MW… ?  Et puis, il faut une égalité de chances, de droit et des garanties d’achat avec des prix indexés au cours du pétrole. Le problème est que les exemples testés au Maroc ont été copiés ailleurs et les pays qui ont suivi l’exemple ont su prémunir le secteur par des lois, alors que chez nous, et bien que stratégique, le secteur est toujours en manque de lois et de réglementations garantes de sa pérennité. Il a certes évolué, mais cette évolution a été faite dans un cadre anarchique. Lorsqu’on sait en plus, qu’en 1978, le Maroc avait déjà pensé à l’introduction du nucléaire et avait acheté un réacteur « Triga mark 1 », de 2MW. Il est inéluctable de développer  les ressources  d’énergies, les énergies renouvelables, les schistes et d’introduire le nucléaire dans un contexte où le prix du pétrole est appelé à augmenter considérablement et que le monde entier est focalisé aujourd’hui sur ces questions énergétiques… 

   

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